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REVUE DE PARIS

mot que de toutes les insultes d’Annibal. Je suis sa femme après tout, sa femme légitime, et je ne le laisserai pas commettre un sacrilège, quand même un prêtre le lui conseillerait.

— Oui-dà, vous le prenez sur ce ton, belle dame, reprit Carrache, de plus en plus exaspéré. Eh bien ! nous y mettrons bon ordre, entendez-vous. Nous ferons casser par le tribunal ecclésiastique ce mariage qui n’a pu être conclu que par une surprise infâme. Nous verrons si une coureuse de ruelles et d’ateliers comme vous a le droit de débaucher un fils de famille, et de lui faire contracter mariage, sans qu’il y ait des lois en Romagne pour la mettre à la raison, et un bon couvent pour nous débarrasser d’elle.

— Qui parle-t-on d’envoyer au couvent ? demande tout d’un coup un nouvel interlocuteur survenu brusquement. C’était Tonino qui, au ton de son oncle seulement, avait compris de quoi il s’agissait, et qui, décidé au fond de lame à renoncer à Liona, l’était également à ne la laisser maltraiter par qui que ce fût au monde, pas même par son oncle.

— Ah ! c’est vous, signor neveu, reprit Carrache, enchanté de trouver une nouvelle victime sur qui faire tomber sa colère. Arrivez ici, vaurien que vous êtes ; j’apprends de belles choses de vous, vraiment. Répondez et répondez franchement ? Est-il vrai que vous ayez prostitué le beau nom de Carrache jusqu’à ramasser dans la rue, pour l’épouser, une pareille aventurière ?

Tonino tressaillit : il lui sembla que ces insultes à la femme qu’il avait tant aimée lui rendaient tout l’amour qu’il avait eu pour elle. Il regarda les trois acteurs de cette scène : à l’air embarrassé de l’abbé, à l’œil étincelant, au regard fier et méprisant de Liona, à la colère de son oncle, il comprit qu’elle avait parlé et ne se sentit pas le courage de lui en vouloir. Elle était sa femme après tout ; c’était lui qu’on offensait en offensant Liona, et Tonino n’avait jamais patiemment supporté une insulte.

— Écoutez, messer Carrache, dit-il froidement à son oncle : le ciel m’est témoin que je vous ai toujours aimé et respecté, non pas comme un homme dont j’attends l’héritage, mais comme le digne oncle qui m’a toujours tenu lieu de père. Mais de par Dieu !