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REVUE DE PARIS

guère qu’il venait de lui rendre celui de tous les services qu’elle appréciait le plus, un service au prix duquel elle eût accepté à genoux toutes les insultes, béni la bouche qui la maudissait et baisé la main qui la frappait. En traînant Liona dans la boue, il l’avait relevée aux yeux de Tonino ; en voulant le séparer de force de cette femme, qu’hier il voulait quitter, il avait resserré, certes, bien sans le vouloir, ces nœuds tout près de se dissoudre. La contradiction, en venant se jeter en travers de cet amour vieilli qui s’attiédissait faute d’obstacles, lui avait donné l’assaisonnement nécessaire pour réveiller les appétits blasés de Tonino. Du moment où le bonheur et la liberté de Liona furent sérieusement menacés, il se surprit à l’aimer encore comme par le passé, et se promit de la défendre, fût-ce contre le monde entier ; et dans ce cœur d’homme si étrangement fait, où la vanité se mêlait même aux meilleurs sentimens, l’orgueil de lutter contre tous les obstacles, et d’être heureux envers et contre tous, lui tint lieu d’abord de l’amour qu’il ne ressentait plus, et finit par le lui rendre.

À dater de ce jour où le danger pour Liona ne fut plus que dans les menaces de Garrache, et non dans le cœur de Tonino, Liona compta encore des jours de bonheur. Comme le condamné auquel on permet de revoir, avant de les quitter, tous ceux qui lui sont chers ici-bas, elle s’enivra à longs traits de ces affections qui allaient finir ; elle voulut dire au bonheur un long, un délirant adieu, en femme qui va le perdre, mais qui sent qu’elle le possède encore. Ghaque matin, en s’éveillant, elle se disait : Ce soir, peut-être, je ne serai plus sa femme ; mais je le suis encore, s’écriait-elle, en se replongeant dans ses bras avec une volupté frénétique que Tonino, avide d’émotions nouvelles, finissait par partager.

Pendant que tous les deux cherchaient ainsi à s’étourdir et se tromper l’un l’autre, le vieux Garrache n’avait oublié ni ses menaces, ni sa colère ; et son crédit, tout puissant à Rome comme à Bologne, n’eut pas de peine à obtenir contre Liona une citation devant le tribunal ecclésiastique. Tonino, au premier moment, voulait quitter avec elle la iloningne, assuré de retrouver partout, grâce à son pinceau, les ressources qu’il perdrait à Bologne. Mais