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REVUE DE PARIS

une mauvaise tournure, crut devoir prendre à son tour la parole ; mais son discours, plus emporté qu’habile, produisit peu d’effet sur son auditoire prévenu contre lui, et les juges durent plus d’une fois faire taire un murmure de défaveur qui grondait dans la salle comme la sourde menace d’un orage qui se prépare. Ensuite les juges se retirèrent dans une salle voisine pour délibérer, et ce silence d’attente et d’anxiété qui règne en pareille circonstance pesa sur l’auditoire avec une lugubre solennité.

Enfin les portes s’ouvrirent, et il n’y eut pas dans l’assemblée un cœur, si ferme qu’il fût, qui ne tressaillît en voyant s’avancer les juges d’un pas lent et solennel, et avec des visages impassibles et froids qui semblaient morts à toute émotion humaine. Ils s’assirent, et un profond silence, ce silence majestueux et vivant d’un millier d’hommes réunis par une même pensée, régna dans l’assemblée. Tous les cœurs étaient serrés, tous les regards fixes, toutes les poitrines haletantes, et pourtant le silence était si profond qu’on entendit le léger frottement que firent les robes de soie des juges, lorsqu’ils se rassirent sur leurs sièges. Tandis que la pensée de tous était pour Liona, la sienne fut pour Tonino qu’on avait de nouveau séparé d’elle ; elle le chercha des yeux : il était pâle, et tous les muscles de son visage, tendus par un violent effort, annonçaient l’affreuse lutte qui se passait en lui. Au milieu de toutes ses propres souffrances, la malheureuse eut une pensée de pitié à donner à celles de Tonino, et, toute femme qu’elle était, elle se sentit assez de courage pour en donner encore à celui qu’elle aimait. L’œil de Tonino rencontra le sien, et il y aperçut tant d’amour, tant de résignation, qu’il se sentit honteux, lui homme, d’être plus faible qu’une faible femme. De ce moment, sa résolution sembla prise ; il se dressa de toute sa hauteur, attacha sur les juges le regard de dédain et de pitié d’un homme déterminé à braver l’arrêt dont on va le frapper, et attendit en silence la lecture de la sentence.

Elle ne se fit pas long-temps attendre ; le tribunal, après avoir insisté sur la sainteté du nœud du mariage, et blâmé hautement la scandaleuse profanation que quelques étourdis, et notamment Antonio Caracci, avaient voulu en faire, ne croyoit pas devoir les