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REVUE DE PARIS

d’abord sans comprendre, sans prêter son âme engourdie à la sensation qui la frappait ; puis ce bruit, qui s’était d’abord mêlé à sa rêverie sans l’interrompre, comme une musique lointaine qui se fond dans nos rêves, grossit et éclata tout d’un coup en cris confus, en coups retentissans comme ceux d’un marteau sur l’enclume. Elle se releva sur le siège où elle s’était accroupie, dressa l’oreille comme le daim craintif auquel les vents apportent le bruit du danger ; puis soudain une voix frappa son oreille, une voix aiguë, retentissante, et qui dominait toutes les autres, comme le sifflet du contre-maître au milieu de l’orage. Cette voix, elle la connaissait, c’était celle de Tonino ; une pointe de flèche ne fût pas entrée plus perçante dans son cœur ; elle bondit sous cette voix puissante’, se dressa de sa hauteur, et, tressaillant de tous ses membres, elle jeta les yeux autour d’elle, comme cherchant à se ressaisir elle-même, à retrouver l’histoire de son passé, depuis la dernière étreinte de Tonino jusqu’à sa solitude dans ce cachot. Puis le passé lui apparut ; elle se ressouvint, elle se connut ; lamémoire, la vie, le sentiment du danger, l’espoir de la délivrance, tout jaillit, tout afflua à la fois dans cette âme vide de sensations et de pensées ; en un instant, plus rapide que l’éclair, elle s’élança sur la haute et étroite croisée oîi d’épais barreaux de fer obstruaient presque tout le jour, et de là, son œil plongeant sur la large place qui s’étend au pied du palais de justice, la vit noire d’étudians et de peuple qui, en poussant de formidables cris où elle crut entendre son nom, semblaient donner l’assaut aux larges portes de bronze du palais ; mais, au milieu de toute cette foule, il n’y avait qu’un homme qui existât pour elle, et cet homme ne la voyait pas ! Penchant alors sa belle tête blonde entre l’étroite ouverture des barreaux, elle l’aperçut enfin le premier, le plus ardent de tous. Ivre d’une joie forcenée, elle l’appela à son tour, mais d’une voix si nerveuse, si puissante, qu’elle domina un instant le tumulte de l’émeute. Tonino l’entendit ; il reconnut ces cheveux blonds qui flottaient sur les noirs barreaux de fer ; il échangea avec elle un cri de joie où leurs âmes s’entendirent, un regard où il sentit ses forces se doubler, et la montrant du doigt à ses compagnons ralliés autour de lui : Courage, amis,