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ceux de Liona. Une de ses aiguilles manquait en effet. La malheureuse, en se voyant à jamais séparée de celui qu’elle aimait, avait eu l’affreux courage de se frapper, sans proférer un cri, une plainte, une parole. Tournant le dos à Annibal, elle avait, sans être vue, déiaclié de sa coiffure cette arme siire et terrible dans la main qui ose la manier, et se l’était enfoncée si profondément dans le cœur, qu’elle était morte sur le coup : les grilles de la croisée avaient empêché sa chute, et pas une goutte de sang épanché au dehors n’avait trahi sa blessure.

Un poignant remords s’empara d’Annibal. Que lui avait fait cette femme, après tout, pour la poursuivre ainsi comme un mauvais génie, et lui prendre sa liberté d’abord et puis sa vie ? Car c’était lui qui l’avait tuée ; il ne pouvait pas le nier, et le sang de cette feaime retomberait sur lui au jour du jugement. Et Tonino, quel compte terrible n’aurait-il pas à lui rendre ? que lui répondre quand, franchissant les portes brisées du sanctuaire de la justice qu’il n’avait pas craint de violer pour arriver jusqu’à elle, il redemanderait sa femme et qu’on lui montrerait un cadavre ?

Certes Annibal n’était pas lâche, et pourtant à cette seule pensée de rencontrer le regard de Tonino, et de répondre à cette question : Qu’avez-vous fait de Liona ? son sang se glaça dans ses veines. À ce moment un cri de joie plus éclatant que tous les autres retentit sur la place, comme la voix de toute cette foule confuse ; en même temps un fracas étourdissant comme celui de la foudre annonça la chute de la grande porte : c’étaient les étudians et les peintres, qui oubliant leurs longues quert lies dans une haine égale de l’ennemi commun, les sbires, s’étaient unis pour attaquer ensemble le palais de justice, et venaient de remporter enfin la victoire. Puis, un murmure confus de toute cette foule immense s’engouffrant dans les longs corridors du palais, vint ôtcr à Annibal tout espoir d’échapper au regard de Tonino. Il se résigna donc à l’attendre de pied ferme. Cette attente ne fut pas longue. Le flot de la foule, mugissant toujours phis rapproché, atteignit enfin l’issue qui conduisait à cette salle. Tonino, le premier, franchit le seuil et s’élança vers le siège où Liona paraissait l’attendre. Il semblait qu’un noir pressentiment lui eût ré-