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REVUE DE PARIS

vélé l’affreuse vérité, car il la devina en un instant. — « Qui l’a tuée ! » dit-il en se retournant vers Annibal et son escorte de sbires, non moins tremblante que lui, et levant une hache qu’il tenait à la main.

— Elle-même, reprit Annibal d’une voix embarrassée et timide comme celle d’un enfant.

— Elle-même, est-ce bien vrai ? demanda Tonino en attachant sur Annibal un œil flamboyant de haine et de colère.

Annibal ne répondit rien, mais lui montra l’uiguillc encore fichée dans sa poitrine.

— Amis, dit Tonino en se retournant vers ses compagnons, sans daigner écraser plus long-temps de son regard ce fier Annibal, humble et rapetissé devant lui. Voulez-vous m’aider à la reporter sous mon toit ? J’ai juré qu’elle y rentrerait morte ou vivante. Procurez-moi une litière, et moi seul je l’y porterai, moi seul, entendez-vous. Je ne veux pas que personne la touche. Émus d’une sympathie profonde, ses compagnons s’empressèrent de se rendre à ses désirs, et Annibal, grandement embarrassé de sa position, profita de ce moment pour s’esquiver avec ses sbires, assez inquiets eux-mêmes de se sentir en présence de ces damnés d’étudians, qui avaient cette fois la force et le bon droit de leur côté. La litière vint enfin, et sans proférer une parole, une plainte, sans accepter de secours de personne, Tonino, jetant un voile sur le front pâle, mais beau encore, de sa maîtresse, la prit dans ses bras, et la porta d’un pas ferme jusqu’à la litière. Il y monta avec elle, et adressant à ses amis un adieu affectueux, et répondant l’œil sec et le front calme à leurs regards baignés de pleurs, il se mit en route avec son triste compagnon de voyage.

Ce que Tonino souffrit pendant ce long trajet, au pas lent et mesuré de deux mules, et l’œil constamment fixé sur cet œil ouvert encore, mais qui ne le voyait plus, Dieu seul le saura jamais, Dieu, témoin invisible de toutes les secrètes angoisses de ces cœ’urs qui se brisent sourdement, sans qu’une plainte, sans qu’une torture ait percé au dehors. Arrivé enfin à son logis, Tonino descendit avec non moins de soin son tiiste fardeau, et jjorta sa Liona à travers les escaliers que son pied ne devait plus fouler