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REVUE DE PARIS

Jusqu’au sanctuaire le plus secret de leurs amours, jusqu’à ce boudoir, témoin tant de fois des tendres épanchemens de leur ipassion, où chaque meuble était empreint de sa présence, chaque mur imprégné de son souffle, où tout parlait d’elle, où il n’y avait qu’elle de morte au milieu de tous ces objets qui vivaient encore de la vie qu’elle leur avait prêtée.

Après avoir défendu qu’on le suivît, Tonino, avec le tendre et religieux respect d’un dévot pour sa plus sainte relique, déposa la sienne sur l’ottomane où elle avait reposé tant de fois. Otant le voile qui recouvrait ses traits que la mort avait empreints de son sceau d’inaltérable pureté, il arrangea ses cheveux un peu en désordre, comme pour parer avec un soin coquet celle qu’il voulait contempler, belle encore, toujours belle, même au sein de la mort ; puis il essaya de lui donner sa pose ordinaire, et frissonna d’horreur en rencontrant déjà, dans ces membres naguère si souples, cette raideur inerte que le souffle de vie, en se retirant, laisse à notre périssable argile. Après bien des efforts cependant, il parvint à lui donner à peu près l’attitude qu’il désirait, et à disputer à la mort une de ces illusions qu’elle est toujours si pressée de détruire. Fermant à demi les yeux, dans ce boudoir à peine éclairé de la clarté pâle de quelques bougies, il crut voir, il vit sa Liona, perdue dans une de ces muettes rêveries où les heures s’écoulaient pour eux si pleines et si rapides, attacher encore sur lui un de ces regards lents, profonds, vivans, pour ainsi dire, qui prennent la place des paroles, et commencent leur langage là où l’autre s’arrête ; de temps en temps un pli du voile, une boucle de cheveux qu’agitait la brise du soir à travers les stores entr’ouverts, venait compléter l’illusion, et jeter comme un souffle de vie sur ce cadavre que l’amour ne voulait pas laisser mourir. Perdu dans cette muette et extatique contemplation, Tonino ignora lui-même sans doute le temps qu’il y donnait ; les heures et les lieux, le temps et l’espace, avaient cessé d’exister pour lui ; car, lorsque le lendemain au soir Annibal, poussé à la fois par ses remords et par son inquiétude pour la vie de Tonino, s’aventura à entrer chez lui et à demander de ses nouvelles, on lui dit qu’il y avait vingt-quatre heures que durait cet horrible tête à tête ; que, du reste,