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REVUE DE PARIS

fidèle protestante, la fille d’un ministre anglican se condamner presque à une vie de couvent catholique ! — Ah ! ma mère, mon excellente mère, quelle fantaisie cruelle vous est venue, quand vous étiez grosse, de vouloir mangor des framboises ! — C’était là une apostrophe indiscrète et peu filiale, peu concevable surtout chez une enfant si pleine de modération. Qu’eût-elle dit, bon Dieu ! bon Dieu ! si mistress Margrave avant ses couches eût désiré goûter de la queue d’un hippopotame ? Mais à quels égaremens n’est pas capable d’entraîner la douleur de rester fille !

Cependant M. Conway n’était point d’une nature obstinée et colère. Ses répugnances n’avaient rien d’emporté ni d’invincible. Dînait-il à la taverne, il ne damnait pas d’emblée le cuisinier, si le bœuf était trop rôti, quoique le mal fût sans remède. Il n’y avait personne qui aimât mieux que lui la croûte de pain frais. Eh bien ! c’eût été fort rare de le voir sortir de ses gonds et maudire cordialement la fille de salle, quand elle lui servait quelque tranche de mie de la veille.

Toutefois en cette occurrence il fut long-temps à rentrer dans son assiette naturelle ; son exaspération était au comble. Tout le long de Piccadily, comme il retournait à Londres, il criait encore véhémentement : — L’effroyable nez ! le nez d’épouvantail ! Quel malheureux mortel s’est trouvé jamais vis-à-vis d’un pareil nez ! le vieux vilain nez rouge ! le nez d’ivrognesse ! L’intolérable nez ! Certes Maria est une intéressante fille ! elle a toutes les grâces et toute l’intelligence imaginable ! ce serait presque une femme parfaite, la femme jusqu’à ce moment inirouvée ! Mais, par le Christ ! où a-t-elle été prendre ce nez féroce, cet envieux nez qui obscurcit tout l’éclat dont elle brille ? Parmi les innombrables variétés de nez susceptibles de gâter un visage, il n’y en avait pas un plus extravagant, plus effronté, plus écorché, plus inconciliable, et c’est celui-là justement que vous avez choisi ! Non, Maria, vous avez beau faire et beau dire, j’abhorre cet exécrable nez ! Je n’admirerai de ma vie un nez semblable !

En conscience, ces exclamations et ces raisonncmens étaient bien d’un homme jeté hors des limites de la raison. Tranchons le mol : c’était là le pur langage d’un fou. Nous sommes donc plei-