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REVUE DE PARIS

à de viles machinations de censure et de police, en butte, de l’autre, trop souvent à l’ingratitude de ceux même pour lesquels ils travaillent. » Cependant le poète ne douta pas un seul instant ; il signa les billets rouges d’Hernani de ce mot significatif hierro ! il annonça fièrement à la critique qu’il ne lui reconnaissait point le droit de questionner le poète sur sa fantaisie, et de lui demander pourquoi il avait choisi tel sujet, broyé telle couleur, cueilli à tel arbre, puisé à telle source. Ce langage était ferme et beau : c’est Galilée qui sent tourner la terre jusque dans les cachots de l’inquisition ; c’est Colomb qui aperçoit l’Amérique au-delà des mers ; c’est le cri de Mirabeau : « Va dire à ton maître, etc. ; » c’était l’homme de cœur et de génie qui se ramenait en soi, n’ayant plus où se prendre, et disait : Me voilà ! qui se frappait la tête comme André Chénier, non plus au moment de mourir, mais de triompher. C’était le conquérant, le révélateur, Napoléon et Mahomet tout à la fois ; c’était Victor Hugo, comme nous l’appelions alors, l’auteur d’Hernani, le poète des Orientales. Ceci est de l’histoire.

Aujourd’hui, M. Hugo est tout puissant ; son incontestable talent ne peut plus être mis en question ; son nom grandit tous les jours. Il commande, et l’on obéit ; il parle, et l’on écoute. Les comédiens auxquels on donne deux cent mille francs par an pour jouer Molière, Racine et Corneille, envoient une députation lui demander Angelo. Qu’il accouple deux rimes ensemble, et tous les échos de la presse parisienne et départementale se les renvoient d’un bout à l’autre de la France. Il ne faut pas moins de huit éditions pour apaiser la première faim du public ; et nous avons rencontré, descendant la Tamise, une cargaison de gravures sur acier, qui feront pénétrer la gigantesque épopée de Notre-Dame de Paris jusque dans la plus humble bibliothèque. Enfin, ce qui est, selon nous, le signe le plus caractéristique d’une nature et d’une intelligence en dehors des proportions ordinaires, M. Hugo a ses fanatiques, ses adorateurs, ses défenseurs envers et contre tous : il est le dieu visible, mortel, et pécheur, de cette foule généreuse et naïve dont nous respectons l’enthousiasme sans pouvoir le partager.

Nous appartenons à cette armée de travailleurs qui admire profondément M. Hugo sans subir aucunement son influence, pour qui le génie et la réputation de l’auteur de Notre-Dame de Paris sont des faits incontestés ; et qui, en partant de ce fait, parlent de cet homme, notre contemporain, avec autant de sang-froid et d’impartialité que s’il appartenait à un des siècles précédens. Cette génération, dis-je, suit avec un étonnement religieux la marche du grand poète ; quelquefois