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REVUE DE PARIS.

de roman que M. Henry Lytton Bulwer appelle « le personnage féminin le plus délicat que jamais ait tracé la plume d’un romancier. » L’Esmeralda ! dont les seuls charmes consistent à chanter et à danser dans les rues, et qui… délicate créature qu’elle est !… étant enlevée par un cavalier dans une rixe nocturne, lui jette les bras autour du cou, jure qu’il est très beau, et à compter de ce moment montre la délicate tendresse de son cœur en l’adorant avec opiniâtreté, sans obtenir de lui d’autre retour ou d’autre encouragement qu’une insultante caresse, une nuit qu’il est pris de vin. « Le délicat personnage féminin ! » Mais ce sont là des choses sur lesquelles on ne peut réellement pas s’appesantir. Je trouve cependant que c’est un devoir sacré, toutes les fois qu’il est question des ouvrages de Victor Hugo, de protester hautement contre leur ton et leur tendance, et que c’est aussi un devoir de rectifier, autant que l’on peut, la fausse idée que l’on se fait en Angleterre de la réputation dont cet auteur jouit en France.

Chaque fois qu’on parle de lui en Angleterre, on cite son succès comme une preuve de la dépravation morale et intellectuelle où la France est réduite. Et cela serait vrai si sa réputation était telle que ses partisans le prétendent. Mais, en réalité, la manière dont il est jugé par ses compatriotes est la plus grande preuve possible, que ni la force des conceptions, ni la beauté du style, ni l’ardeur dans la peinture des passions, ne peuvent suffire pour assurer aujourd’hui à un auteur une grande réputation en France, quand avec cela il outrage les bons sentimens et le bon goût. Si quelqu’un doutait de la justesse de cette assertion, je ne pourrais que le renvoyer à la source d’où j’ai moi-même tiré ces renseignemens, c’est-à-dire à la France elle-même. Il y a cependant un fait dont on peut s’assurer sans traverser la mer ; le voici : une revue française[1], désirant publier un article sur le drame moderne, n’a rien trouvé de mieux à faire que de traduire en entier l’excellent article public sur ce sujet, il y a environ dix-huit mois, dans notre Quarterly Review, en citant la source dans laquelle elle a puisé.

Si le nom et les ouvrages de Victor Hugo n’étaient connus que dans son pays, il serait, je pense, bien temps que je vous délivrasse de lui ; mais c’est un critique anglais qui a dit qu’il a soulevé le terrain sous les pieds de Racine, et je vous demande encore quelques minutes de patience, afin que je tâche de les placer tous deux sous vos yeux. Pour

  1. Voir la Revue de Paris du premier trimestre de 1834.