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REVUE DE PARIS.

Il ouvre le sac, et la lueur d’un éclair, qui arrive avec un singulier à propos mélodramatique, lui permet de reconnaître sa fille qui revient à la vie pour… mourir dans ses bras.

Voilà, sans doute, une situation tragique, et j’avoue qu’il peut paraître fort insensible d’en rire ; mais le pas qui sépare le sublime du ridicule ne se voit pas fort distinctement ici, et il y a, tant dans la position que dans le langage du père et de la fille, quelque chose à la fois de grossier et de risible qui détruit tout le pathétique de la scène.

Il faut se rappeler qu’elle est vêtue de l’habit d’homme, dont, en termes si poétiques, son père a dit :

Je l’ai d’avance exprès fait faire.

Remarquez avec cela qu’elle est toujours dans le sac ; car les indications pour la mise en scène disent : Le bas du corps qui est resté vêtu est caché dans le sac.

Tout cela est fort terrible sans doute, mais ce n’est pas de la tragédie, et ce n’est surtout pas de la poésie, et pourtant c’est là ce qu’on nous dit avoir fait trembler la terre sous les pieds de Racine !

Après un pareil arrêt, je sais qu’il doit être fort ridicule de prononcer encore le nom de Racine ; permettez-moi néanmoins de rappeler à votre mémoire quelques débris de ce majestueux édifice que Racine a élevé à sa gloire, et qui, dit-on, vient de s’écrouler aujourd’hui sous l’invincible pouvoir de Victor Hugo. Ce ne sera pas du temps perdu, car, de quelque côté que vous vous tourniez parmi les magnifiques décombres de ce temple renversé, vous ne trouverez pas une pierre qui ne soit inappréciable, et dont les ornemens et les ciselures ne fassent reconnaître la main d’un grand homme.

Les drames de Racine ne sont point tirés de la vie ordinaire. Son plan d’ailleurs ne le comportait pas. Il voulait nous donner la tragédie des héros et des demi-dieux, et non pas celle des escrocs, des bouffons et des prostituées.

Jetez seulement pour un instant les yeux sur Iphigénie. Là aussi, la perte d’une fille est la source de l’intérêt tragique. Comparez donc les vers que je viens de citer avec ceux où la royale mère décrit le sort qui l’attend :

Un prêtre, environné d’une foule cruelle,
Portera sur ma fille une main criminelle,
Déchirera son sein, et d’un œil curieux,
Dans son cœur palpitant consultera les dieux ;