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REVUE DE PARIS.

Et moi qui l’amenai, triomphante, adorée,
Je m’en retournerai seule et désespérée…

Certes, ces vers sont d’une meilleure facture que ceux-ci :

Tu sais ce coffre auprès du portrait de ta mère ;
L’habit est là… je l’ai d’avance exprès fait faire.

Pour moi, je m’écrie avec Philaminte :

Que cet exprès fait faire est d’un goût admirable !
C’est à mon sentiment un endroit impayable :
Et j’entends là-dessous un million de mots…
Il est vrai qu’il dit plus de choses qu’il n’est gros.

Mais pour prendre la chose plus au sérieux, examinons un peu le fondement sur lequel cette école d’auteurs dramatiques appuie ses prétentions à la supériorité sur ses classiques prédécesseurs.

N’est-ce pas qu’ils se disent plus fidèles à la nature ? Or, comment justifient-ils cette prétention ? Si vous lisiez toutes les pièces de M. Hugo (et je prie le ciel de vous préserver d’une telle tâche), je ne crois pas que vous y trouviez un seul personnage avec qui vous pussiez sympathiser, un seul sentiment, une seule opinion qui rencontrât dans votre cœur une corde correspondante.

Il serait, je pense, bien moins difficile d’exciter assez fortement l’imagination par la majestueuse éloquence des vers de Racine, pour vous faire partager les sentimens de ses sublimes personnages, que d’abaisser votre cœur et votre ame au point de vous faire croire que vous avez réellement quelque chose de commun avec les créations de Victor Hugo.

Mais quand même il en serait autrement, quand même les scènes imaginées par ce nouveau Shakspeare seraient plus ressemblantes à la véritable scélératesse de la nature humaine, que celles du noble écrivain qu’il aurait détrôné, je nierais encore qu’il existât une bonne raison pour mettre de pareilles scènes sur le théâtre. Pourquoi l’aspect du vice, dans toute sa grossièreté, doit-il être pour nous un divertissement ? Pourquoi les passions les plus viles de notre nature doivent-elles sans cesse être étalées avec affectation à nos regards ? « Ce n’est pas, ce ne peut pas être pour notre bien. » Par la même raison, il faudrait abandonner nos jardins bien cultivés, avec leurs terrasses de marbre, leurs pelouses veloutées, leurs fleurs et leurs fruits de tous les climats, pour aller nous promener dans quelque marécage ; et quand nous glisserions et enfoncerions dans la vase croupissante, nous nous consolerions par la pensée que c’est plus naturel qu’un jardin. Mrs Trollope.