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REVUE DE PARIS

que nous possédions aujourd’hui, l’écrivain qui sait le mieux démêler tous les secrets du cœur humain, analyser les émotions les plus cachées, M. Sainte-Beuve, a le premier insisté sur les doutes, d’abord vagues et instinctifs, puis qui, grossissant avec les années, se nourrissant de déceptions, se sont peu à peu glissés dans le cœur des poètes dont la foi semblait la plus robuste ; le doute, cette maladie du siècle ; le doute, qui se déchire de ses propres mains et vit de sa propre substance ; le doute, qui trouve sa punition en lui-même ; car, si l’on peut représenter Dieu sous l’image du calme parfait, de la force immobile, il faudrait peindre le doute sous les traits du mouvement pei-pétuel, de la faiblesse toujours inquiète. Le doute s’empare des plus hautes et plus sereines intelligences. Hier, M. de Lamartine, qui n’a gagné à son voyage d’Orient que l’indifférence religieuse ; demain M. de Vigny, soldat aux belles manières, écrivain au style brillant et ciselé comme le pommeau d’une épée, qui en appelle à l’honneur comme à la seule vertu encore debout, la seule religion sans symbole et sans image, au milieu de tant de croyances tombées ; aujourd’hui enfin, M. Hugo lui-même, l’homme de la forme par excellence, le peintre de la nature extérieure, de la réalité somhie, éternelle, immobile, le poète plastique dont le vers saillit en ronde bosse, M. Hugo le novateur, l’apôtre, le prophète, il doute à son tour.


Je vous dirai qu’ea moi j’interroge à toute heure
Un instinct qui bégaie, en mes sens prisonnier,
Près du besoin de croire, un désir de nier,
Et l’esprit qui ricane auprès du cœur qui pleure.

Tout cela est triste et douloureux. Chaque jour une étoile disparaît du firmament ; chaque jour un des pasteurs des hommes, comme dirait le vieil Homère, renonce à les guider désormais. Qu’il se tue avec le fer, comme Léopold Robert, ou par le doute, qu’importe ? chacun est libre de choisir son genre de suicide. Usez donc votre jeunesse à creuser les profondeurs de la science ; quittez les distractions de votre âge, pour les veilles de l’étude ; prodiguez à tout ce qui est beau et grand un culte respectueux ; entourez de votre admiration les hommes que Dieu a faits rois par le génie !… et tout cela pour trouver un jour, au fond de la science, de la religion, de l’enthousiasme… le doute ! O misères de la nature humaine ! ô exécrable dérision !

Oui, la philosophie de M. Hugo, c’est que nous avons le doute en nous, c’est qu’il se prépare un accomplissement.