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REVUE DE PARIS

Esprit de rbomme, attends quelques insfans encore,
Ou l’Ombre va descendre, ou l’Astre va surgir.

Quoi ! le poète ne se confie pas à cette verte jeunesse qui l’entoure, lui, vieil arbre sillonné par la foudre ; il ne sait si elle est emportée vers nn abîme ; ou si elle vogue, enseignes déployées, sur une mer, houleuse, il est vrai, mais qui doit le conduire au port ! Ne sommes-nous plus les aînés d’une race de braves ? Ne sommes-nous plus les fils des géans, ceux dont Napoléon aimanta le front d’un regard ? Ne savons-nous plus faire, pour l’exemple du monde, tenir un siècle dans un jour ? Comment sommes-nous dégénérés tout à coup ? N’est-ce pas, ô poète ! qu’alors un lien sympathique nous unissait à vous, la Foi, et qu’aujourd’hui un abîme nous sépare, le Doute ?

Mais non, je ne puis le croire, le doute n’est point le dernier mot de M. Hugo ; toujours ces puissantes âmes échappent par quelque côté à nos critiques d’enfant ; toujours elles dépassent par quelque grande action notre moralité étroite et bourgeoise ; et la pauvre critique, ne comprenant plus rien à cette marche hardie, irrégulière, fulgurante de l’artiste, s’enferme dans une mélancolique contemplation de tant de vertu et de talent accouplés à tant d’erreurs et de bizarrerie. Ainsi a fait M. Hugo dans ses chansons d’amour d’où s’exhale un tel parfum de poésie, que, pour pouvoir le juger, il faudrait ne pas le lire ; ainsi échappe-t-il aux reproches de scepticisme dans ce chant magnifique qui commence par ces mots : Ami, le voyageur que vous avez connu. M. Hugo aura dû à Notre-Dame de Paris l’enseignement terrible de la nécessité Avuvkh et ce sublime épanchement que provoquent l’aspect des hauts lieux, l’éloignement des choses de la terre, le rapprochement du ciel.


Qu’à son heure, à son jour, l’esprit saint les réclame.
Les touche l’une et l’autre, et leur dise : Chantez ;
Soudain, par toute voie et de tous les côtés.
De leur sein ébranlé, rempli d’ombres obscures,
A travers leur surface, à travers leurs souillures,
Et la cendre et la rouille, amas injurieux,
Quelque chose de grand s’épandra dans les cieux.

Voilà ce qui élèvera éternellement les poètes au— dessus des moralistes ; Gœthe, Byron, Shelley, Victor Hugo, au-dessus de Labruyère,