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REVUE DE PARIS

Pourtant il faut dire encore que, pour représenter le bûcher élevé par Abraham, comme celui dressé par Abel, on se servait d’un vase très peu poétique rempli de foin, auquel on mettait le feu pour imiter la fumée montant au nez de l’Éternel.

À la fin de chaque journée, tous les acteurs se réunissaient en procession, les dinbles en tête, le Père-Éternel à la place d’honneur. Puis, démons, anges, Adam, Ève, Juifs, Romains, Mort et serpent, s’en allaient ensemble au cabaret, chantant Te Deum, suivis de tous les spectateurs, chapeau bas ; car il est à remarquer que l’on apporte le même respect, la même dévotion, à ces spectacles, qu’à l’office divin ou au sermon ; comme en Espagne, chaque fois que le nom de Dieu est prononcé, tous les fronts mâles se découvrent, et toutes les têtes féminines se courbent.

Dans quelques autres parties de la Bretagne, on est un peu plus avancé sous le rapport dramatique ; on a traduit Polyeucte en bas-breton, et l’on joue dans le même idiome une tragédie intitulée Louis XVI ; mais les acteurs, les décors et la mise en scène sont partout les mêmes : partout les anges sont affublés d’une robe de calicot garnie de padoue rose ; pnrtout le Père-Eternel est la caricature d’un évéque. Cependant il y a des endroits où les ecclésiastiques tolèrent ces représentations, et les encouragent même en devenant souffleurs et répétiteurs, comme au xve siècle. Ailleurs, ces spectacles sont prohibés, sans doute dans cette idée, qu’on ne craint plus guère le diable quand on l’a vu trinquer au cabaret, habillé en arlequin. Ce qu’il y a de plus extraordinaire dans ces farces du moyen-âge, c’est la patience de l’impressario bas-breton, qui apprend des rôles de sept et huit cents vers à des rustres qui ne savent pas lire, et leur répète ces rôles jusqu’à ce qu’ils se soient incrustés dans ces cervelles d’acier de manière à pouvoir être rendus sans faute. On ne s’étonnera donc pas que les pièces soient quelquefois un an et plus en répétition, et que souvent le directeur, souffleur, décorateur et machiniste, soit obligé de venir improviser tout à coup Judas, Jésus-Christ, un martyr, ou l’un des chevaliers de la Table-Ronde.

Ce dont on ne trouverait plus de traces aujourd’hui, ce sont les solennités semi-mondaines, semi-religieuses, qui, par le scénario