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val ; mais Eve paraissait ne prendre conseil que d’un paon, dun singe et d’un perroquet, dont elle était escortée, et que le sacristain signalait ëpigrammatiquement aux curieux.

C’est au xvie siècle que le goût des processions à spectacle se répandit plus particulièrement en France. La Ligue, féconde en crimes de toute espèce, ne le fut pas moins en cérémonies absurdes en ce genre, que les goûts personnels de Henri III avaient d’abord mises en vogue. De Thou nous a conservé la desci intion d’une de ces processions qui, exécutée à Chartres en présence de ce prince, reflète parfaitement la physionomie tout à la fois sombre, bouffonne et mystique de l’époque.

À la tête paraissait un homme à grande barbe sale et crasseuse, couvert d’un ciliée, et par-dessus un large baudrier d’où pendait un sabre courbé ; d’une vieille trompette rouillée il tirait par intervalles des sons aigres et discordans ; après lui marchaient trois autres hommes aussi malpropres, ayant chacun en tête une marmite grasse, au lieu de casque, portant sur leurs cilicesdes cottes de mailles, avec des brassarts et des gantelets ; ils avaient pour armes de vieilles hallebardes rouillées ; ces trois personnages roulaient des yeux hagards et furibonds, et se démenaient beaucoup pour écarter la foule accourue à ce spectacle. Après eux venait frère Ange de Joyeuse, ce courtisan qui s’était fait capucin l’année précédente. On lui avait persuadé, pour attendrir Henri, de représenter le Sauveur montant au Calvaire. Il s’était laissé lier et peindre sur le visage des gouttes de sang qui semblaient découler de sa tête couronnée d’épines ; il paraissait ne traîner qu’avec peine une longue croix de carton peint, et se laissait tomber par intervalles, poussant des gémissemens lamentables.

À ces côtés marchaient deux jeunes capucins, revêtus d’aubes, représentant l’un la Vierge, l’autre la Madeleine. Ils tournaient dévotement les yeux vers le ciel, faisant couler quelques fausses larmes ; et toutes les fois que frère Ange se laissait tomber, ils se prosternaient devant lui en cadence. Quatre satellites fort ressemblans aux trois premiers tenaient la corde dont frère Ange était garotté, et le frappaient à coups de fouet qui s’entendaient de Très loin. Une longue suite de pénitens fermaient cette marche singulière.