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la finesse de ses sens. Une ou deux fois, il y eut des collisions ; je laissai les gens stupéfaits des malédictions inexplicables qui résonnaient à leurs oreilles.

» Alors, doucement, sans bruit, il m’arriva quelque chose dans la figure : le square se couvrait d’un léger manteau blanc, des flocons de neige tombaient avec lenteur. J’avais attrapé un rhume et je ne pus retenir un éternuement. Tous les chiens que je rencontrais étaient pour moi, avec leur museau tendu et leurs reniflements indiscrets, des objets de terreur.

» Je vis accourir des hommes, des enfants, criant à pleins poumons : il y avait un incendie. Ils allaient dans la direction de mon logis. Regardant derrière moi, vers le bas de la rue, j’aperçus une masse de fumée noire au-dessus des toits et des fils du téléphone. C’était, j’en eus la certitude, mon logis qui brûlait : tout était là, vêtements, appareils, toutes mes ressources, en vérité, excepté mon carnet de chèques et les trois volumes de notes qui m’attendaient dans Great Portland Street. Tout brûlait, tout ! Si jamais homme brûla ses vaisseaux, c’était bien moi ! La maison flambait. »

L’homme invisible fit une pause et réfléchit. Kemp jeta un regard impatient par la fenêtre. Puis :

— Je vous suis, dit-il, continuez !


XXII

DANS UN GRAND MAGASIN


— C’est donc en janvier dernier, sous la menace d’une tempête de neige — et la neige, en restant sur moi, m’aurait trahi ! — que, fatigué, gelé, souffrant, malheureux plus qu’on ne saurait dire et pourtant à peine convaincu de mon invisibilité, je commençai cette vie nouvelle à laquelle je suis voué. J’étais sans abri, sans ressources ; pas un être au monde à qui je pusse me confier. Dire mon secret, c’était me livrer, faire de moi une curiosité, un phénomène. Pourtant, j’avais bien envie d’accoster le premier venu et de m’en remettre