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commencer. Oui, la partie ne fait que commencer… D’ailleurs, il n’y a pas à dire, il faut qu’arrive le règne de la terreur ; en voici le premier jour. Port-Burdock n’est plus sous la domination de la Reine ; dites-le à votre policier, dites-le à toute la bande : la ville est sous ma domination, à moi, et je suis la terreur ! Ce jour est le premier de l’an I de la nouvelle ère, l’ère de l’homme invisible. Je suis Invisible Ier.

» Pour débuter, le programme est simple : le premier jour, il y aura une exécution, rien que pour l’exemple, celle d’un nommé Kemp. La mort est en marche, à son adresse, aujourd’hui. Il peut se cacher, se mettre sous clef, s’entourer de gardiens, revêtir une armure si bon lui semble : la mort, la mort invisible approche. Qu’il prenne ses précautions : cela fera d’autant plus d’impression sur mon peuple… La mort partira de la boîte aux lettres à midi. La lettre tombera dans la boîte au moment où arrivera le facteur, et le sort en sera jeté ! La partie commence. La mort est en route… N’allez point au secours du coupable, mes amis, de peur que la mort ne s’abatte aussi sur vous. Aujourd’hui Kemp doit mourir. »

Quand le docteur Kemp eut lu et relu cette lettre :

— Ce n’est pas une mystification, s’écria-t-il. C’est bien là son style. Et il ne plaisante pas !…

Il retourna la feuille et, sur l’adresse, il vit le timbre du bureau de Hintondean, avec ce détail prosaïque : « Deux pence à payer. » Il se leva lentement, laissant son déjeuner inachevé (la lettre était arrivée par le courrier d’une heure), et il passa dans son cabinet de travail. Il sonna sa gouvernante et lui donna l’ordre de faire tout de suite le tour de la maison, de vérifier toutes les fenêtres, de fermer tous les volets. Pour ceux de son cabinet, il s’en chargea lui-même. Dans un tiroir fermé à clef, dans sa chambre à coucher, il prit un petit revolver, l’examina soigneusement, et le mit dans la poche de son veston. Il écrivit plusieurs billets, — l’un pour le colonel Adye, — et les fit porter par la femme de chambre, en lui donnant des instructions explicites sur la manière dont elle devait sortir de la maison. « Il n’y a pas de danger », dit-il, en faisant cette restriction mentale : « Pas de danger… pour vous ! » Il demeura songeur, un moment, puis retourna à son déjeuner qui refroidissait.