Page:Revue de Paris - 1901 - tome 1.djvu/422

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il mangea avec des distractions. À la fin, il frappa sur la table : « Nous l’aurons, s’écria-t-il. Et je suis l’amorce. Il ira trop loin. »

Il monta ensuite au belvédère, en prenant soin de fermer derrière lui toutes les portes. « C’est une partie engagée, dit-il, une drôle de partie… mais les chances sont toutes pour moi, monsieur Griffin, quoique vous soyez invisible !… et malgré votre audace !… Griffin contre l’univers ! ce serait trop fort ! »

Il se tint debout près de la fenêtre, regardant la côte ensoleillée. « Il faut qu’il trouve à manger tous les jours… je ne l’envie pas… A-t-il vraiment dormi, la nuit dernière ?… Quelque part, en plein air… à l’abri des rencontres… Si nous pouvions avoir un bon temps froid, bien humide, au lieu de chaleur !… Il me guette peut-être, en ce moment. »

Il se mit tout contre la fenêtre. Quelque chose frappa vivement le mur de briques au-dessus du châssis : Kemp sauta en arrière.

— Je deviens nerveux !

Il se passa cinq minutes avant qu’il s’approchât de nouveau.

— Cela devait être un moineau, dit-il.

Tout à coup, il entendit la sonnette de la porte d’entrée : il descendit l’escalier quatre à quatre. Il tira les verrous, il tourna la clef dans la serrure, vérifia la chaîne de sûreté, la mit en travers et ouvrit avec précaution, sans se montrer. Une voix familière le salua : c’était Adye.

— Votre bonne a été attaquée, Kemp, — dit le colonel derrière la porte.

— Comment !

— Elle s’est fait prendre la lettre qu’elle portait… Il est tout près d’ici. Laissez-moi entrer.

Kemp détacha la chaîne, et Adye pénétra par un entrebâillement aussi étroit que possible. Il resta dans le vestibule, regardant avec un soulagement infini le maître de maison qui refermait la porte.

— Il lui a arraché le papier de la main. Il lui a fait une peur terrible… Elle est là-bas, au poste. Une attaque de nerfs… Il est tout près d’ici. Que disiez-vous dans cette lettre ?