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LA REVUE DE PARIS

suzeraineté mongole, payer le tribut, subir le caprice et les avanies du Khan, les razzias de ses cavaliers, pour sauver le dernier refuge de la nation russienne et de la foi orthodoxe. Deux siècles durant, dans l’avilissement et sous le fouet, le grand-prince moscovite entretient du moins les espoirs de délivrance, guette les occasions, patiente, fait de la Grande-Russie la « sainte » Russie et, de Moscou, la mère des cités russes. Deux siècles durant, la terre russe est soumise à ces ravageurs qui la dépeuplent, la vident : jusqu’à nous, même après trois siècles de renaissance et de réfection, elle en est restée demi-déserte.

Car cette Russie, aujourd’hui encore, ne compte guère que 19 ou 20 habitants au kilomètre carré : la France en ayi, l’Allemagne près de 100, la Grande-Bretagne plus de i3o. Mettez à l’écart les forêts et toundras du nord et les déserts et pâturages du sud, où deux kilomètres carrés n’ont parfois qu’un habitant (Arkhangel), quatre habitants (Astrakhan) ; mais supprimez aussi les provinces polonaises où la densité est tout européenne(7i habitants au kilomètre carré) ; en Russie propre, ne prenez que les terres fertiles, ne prenez même que les plus fertiles : en pleine Terre noire, les provinces d’Orel et de Toula (avec leur bassin houiller) n’ont pas 5o habitants au kilomètre carré, celles de Penza et de Tambov en ont à peine âo. Dans toute cette Russie, les villes naissent à peine. Cinq grandes capitales historiques, Moscou, Pétersbourg et Kief chez les Russiens, Vilna et Varsovie en Lithuanie et Pologne, cinq ou six grands ports maritimes ou fluviaux, Odessa, Rostov, Astrakhan, Saratov, Kazan et Riga, deux ou trois grands marchés agricoles, Ekatérinoslav, Kharkov, Kitchinef, et deux centres industriels, Lodz et Toula, sont les seules villes qui dépassent cent mille âmes. Encore une ville russe n’est-elie point une cité à la mode d’Europe, une agglomération serrée, une fourmilière autour d’un hôtel et d’un beffroi communal : c’est tout au plus un éventail de faubourgs en rase campagne, autour d’une église ou d’une caserne, d’un champ de foires ou de manœuvres. Sur sa terre immense, la population russe continue d’errer ; ses huttes de bois, que le feu chasse et déplace, s’écartent les unes des autres pour limiter les chances d’incendie, se