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Kérouall hérita d’une maisonnette située à Port-Saint-Pierre, sur la rivière. Le ménage résolut aussitôt de s’y installer. Jean trouverait à exercer dans le pays son métier de charpentier, et la dépense serait bien moindre que dans une grande ville. On partit. Et bientôt vint au monde la troisième et dernière petite fille, Marie.

La vie parut d’abord étroite et monotone, mais on s’y fit peu à peu. Quoique la cage ne fût pas grande pour tant d’oiselets, l’ordre et la propreté la rendaient tout de même plaisante. Jean Kérouall avait gardé son âme rêveuse de Breton, et parfois, la nuit, quand le vent courait sur la berge et agitait en passant les toiles qui séchaient le long du balcon, il croyait naviguer encore et entendre les grandes voiles secouées par la tempête.


III


Port-Saint-Pierre, qui n’était qu’un petit chef-lieu de canton, devait à sa situation riveraine une vie et une animation renouvelées sans cesse. Quatre fois par jour, les bateaux montant et descendant la Garonne déposaient sur la berge allants et venants.

Les vins blancs renommés des coteaux du Haut-Saint-Pierre attiraient aussi beaucoup de négociants et de courtiers.

Vue de la rivière, la petite bourgade se posait assez gracieusement à mi-colline. Quelques maisons et castels s’étageaient au-dessus des carrières blanches, parmi des bouquets d’arbres. Tout en haut du coteau, Château-Gorsac s’élevait, imposant et dominateur.

Mais, pour qui traversait son unique rue coupée de quelques ruelles, Port-Saint-Pierre ne faisait pas très brillante figure. Ses habitations pauvres, usées, jamais repeintes, qui d’ailleurs ne furent guère belles en venant au monde, semblaient avoir pris, en vieillissant, l’insouciance et même le cynisme de leur laideur.

Et sur les petits trottoirs encombrés d’objets de ménage, de chaises d’enfants, de sacs à fourrage, de caisses éventrées, il ne restait de place qu’à peine pour les chats et pour les poulets.

Le soir, l’aspect s’améliorait un peu. Sur la grande place,