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— Je pensais seulement — fit Louise — calmer un peu ce jeune homme, l’empêcher de se désespérer tout à fait. Il m’inspirait beaucoup d’inquiétude et d’intérêt. Alors, je suis allée à lui, étant sûre qu’il ne manquerait pas à ce qu’il devait.

— Mais enfin, — reprit Félicité, avec quelque impatience, — on ne se compromet pas à ce point uniquement par pitié ! Je te supplie d’être franche : l’aimes-tu ?

Il y eut un long silence. Puis, comme dans un murmure, Louise dit :

— Je crois… je crois que je l’aime.

Ce fut tout. Des pleurs noyèrent l’aveu de cet amour, pleurs d’aurore ingénus et frais comme la rosée, mais pleins déjà de l’amertume et du sel dont la vie est trempée.

Devant ce qui lui semblait désormais inévitable, Félicité, qui était sage, n’en demanda pas plus long. Elle engagea sa nièce à se reposer, prit un fiacre et se fit conduire au Crédit Lyonnais. Elle y trouva une personne qui s’occupait habituellement de ses affaires et de ses placements. Il lui fallait, avant une heure, des renseignements très sûrs et confidentiels sur la maison Epstein. Ils furent tels qu’à midi Fernand était avisé qu’il pourrait se présenter, le lendemain soir, avenue de Villiers.

Ce lendemain, qui était un jeudi, la journée fut très chaude ; vers le soir, une buée, comme une haleine ardente, montait de la ville, et l’on voyait dans les avenues les petits fiacres s’en aller du trot menu de leurs bêtes fatiguées, au-devant d’une brise, d’une bouffée d’air.

Dès le matin, Félicité avait prévenu Louise de la visite qu’elle recevrait, et la jeune fille en éprouvait un trouble si grand que tout autre sentiment disparaissait maintenant dans une confusion sans bornes.

Quand Fernand arriva, on était tellement las et énervé que, pour fuir les sujets sérieux, on se hâta d’en choisir tout de suite de très insignifiants. On alla sur le balcon, et l’on parla du temps. On dit qu’à Paris on ne respirait plus, que les soirées n’apportaient pas un souffle, et que les étoiles avaient l’air de petits brasiers qui renvoyaient de nouveaux feux. Fernand raconta que sa famille était installée sur les hauteurs de la Celle-Saint-Cloud, et que, du moins, la nuit, on y jouissait d’une fraîcheur délicieuse.