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teau, ce jour-là : il faisait trop beau, et puis il ne fallait pas se fatiguer. On verrait les jardins, ensuite les grandes eaux, et l’on s’en irait aux Trianons dans l’après-midi.

Louise ne connaissait pas Versailles. Tous les dimanches, avec Félicité, elle se rendait au Bois, et très souvent aux courses. Longchamp et Auteuil étaient pour la grande ouvrière en chapeaux des terrains précieux d’observation et d’étude : elle y retrouvait les clientes, jugeait comment se comportaient au grand jour les créations de la maison, et surtout suivait, surveillait les maisons rivales.

Louise et Fernand montèrent l’allée des Marmousets, et atteignirent ces parterres à la française où les fleurs de la saison s’alignaient en cordons réguliers et éclatants. Puis, parvenus à la terrasse, ils virent le château se déployer dans la majesté charmante et harmonieuse de ses proportions parfaites. Il semblait tout clair et aérien sous la lumière limpide du ciel. Louise s’en émerveilla. Cette petite fille, qui si longtemps n’avait regardé que des peupliers et des saules se refléter dans la rivière, avait pris très vite la notion des choses d’art. Au magasin, on vivait parmi les vieilles gravures, on cherchait à reconstituer des modes anciennes, et les salons, du goût le plus sûr et le plus délicat, étaient décorés de frises et de panneaux d’après Delafosse et Salambier. À leurs pieds maintenant se succédaient, par étages, les massifs, les bassins de marbre et de bronze, luisant au soleil, et les ifs sombres rangés le long du peuple blanc des statues. Tout apparut en une perspective surprenante, vrai décor de faste et de gloire fuyant jusqu’au déroulement du Tapis Vert, que bornait au fond le Grand Canal.

Ils descendirent, entrèrent dans les bosquets. Ils n’en savaient pas bien les noms, et les admiraient confusément. Mais la beauté, la fraîcheur et la solitude de ces grandes futaies, à cette heure encore matinale, ravissaient les deux promeneurs.

Aux rencontres des routes, se découvrait quelque déesse de plomb, couronnée d’algues ou de fleurs, chef-d’œuvre des Keller, perdue dans les roseaux au milieu d’une vasque, ou quelque ingénieux château d’eau s’élevant parmi le feuillage. Tout à coup un temple ravissant, imprévu, se dressa devant eux. Il était de marbre rose et gris, circulaire et composé de