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Le moment des toasts était venu : M. l’adjoint but à la santé, au bonheur de ces jeunes gens qui allaient fonder une famille, donner le jour à de futurs citoyens.

— Qu’ils songent à les élever dans les principes qui sont la base de l’ordre social. Qu’ils leur inspirent dès l’enfance le sentiment de l’épargne et de la solidarité, et ils feront une bonne chose. Messieurs, je bois à la mutualité.

Il se rassit, un peu ému de son éloquence.

M. Courtaud, le grand cordonnier, ne chercha pas à donner à sa parole une si haute portée. Même il crût pouvoir risquer quelques allusions un peu vives, et fit valoir ses titres à défaire la jarretière de la mariée.

On se récria, et M. Bérard, quoique vivement sollicité, ayant refusé de prendre la parole, M. Vauquelin, jeune paysagiste de talent, proposa de boire « aux dames et aux demoiselles, qui embellissaient cette réunion de leur présence, comme elles embellissent la vie, qui sans elles serait dépourvue de charme ».

Ce toast fut acclamé.

À ce moment, Louise sentit sous la table le pied de Poncelet qui lentement, doucement, se posait sur le sien. Comme elle se dérobait, Poncelet avança le genou, puis toute la jambe, et la regarda de biais, furtivement et sans tourner la tête. Indignée, elle se jeta de côté. D’ailleurs on commençait à se lever pour le café. La salle de festin allait être transformée en salle de danse : le jour baissait déjà ; et l’on avait renoncé à la promenade au Bois, les chevaux des landaus n’étant pas ferrés à glace.

Louise alla embrasser Éliane.

— Je m’en vais, — lui dit-elle, — je me sens un peu souffrante.

— Regarder donc — fit Éliane — le magnifique cadeau que m’a envoyé le baron Epstein.

Et elle montra une broche de diamants qui attachait son corsage.

Louise s’enfuit. Dans Paris le dégel commençait, la boue se mêlait à la blancheur de la neige, et, d’écœurement et de dégoût, elle pleura.