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Il resta quelques instants à la considérer de face, de côté, se penchant même pour la voir de biais, puis il dit :

— Savez-vous mon projet, mademoiselle Louise ? Je vais faire venir de la cire à modeler de Paris : elle sera ici dans quelques jours et j’essaierai de faire un petit buste d’après vous. Je suis sculpteur, à mes heures perdues, et je voudrais que vous fussiez mon chef-d’œuvre, si toutefois vous voulez bien me servir de modèle.

— Docteur, ce sera pour moi un grand honneur. En vérité, je ne sais que vous dire : je suis si confuse auprès de vous, si infime !

— Ne dites rien, mon enfant, et sachez qu’on ne doit jamais de reconnaissance. Il n’est pas de dévouement ni de sacrifice qui n’ait sa source dans notre orgueil ou dans notre sensualité.

Et, lui offrant le compotier, il ajouta :

— Voulez-vous encore quelques prunes ? Elles sont excellentes.

Leur repas s’achevait dans la douceur du soir bienveillant. Peu à peu les tables s’étaient dégarnies, les dîneurs allaient faire un dernier tour de promenade. En passant, la comtesse de Falkenberg se dressa de toute sa haute taille et de sa fierté de Markgræfin. Elle répondit à peine au salut de Lenoël et s’éloigna, portant sa morgue et son arrogance comme deux plumets qui l’auraient coiffée.

— C’est une dame féodale, — dit-il tout bas. — Ici elle paraît déjà un peu démodée, mais chez nous elle deviendrait personnage d’opérette : l’entrée en musique s’imposerait.

Le docteur avait allumé un cigare, et, les yeux à demi clos, il suivait les méandres capricieux de la fumée qui s’envolait.

— Demain, — dit-il tout à coup, — je n’aurai pas le joli plaisir de dîner avec vous : je suis invité chez un confrère. Mais nous nous verrons dans la journée.

Tous deux se levèrent, Louise secoua ses jupes légères. Dans la nuit claire ils virent le ciel plein d’étoiles comme un champ de fleurs. Au bas de l’escalier, ils se quittèrent.

Il la suivit des yeux, regarda monter et disparaître la robe semée de jacinthes, puis, se demandant ce que la vie, la vie