Page:Revue de Paris - 1908 - tome 2.djvu/581

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Les mauvaises langues appellent ce pré « le lit d’amour de la comtesse de Schœnfels », — dit en souriant le docteur.

Puis ils prirent un sentier bordé de haies et de buissons et d’où la vue s’étendait sinueuse et fuyante jusqu’aux lointains bleus de la vallée rhénane.

— Ce pays est joli, — reprit Lenoël, — et, dès que disparaît le décor un peu puéril de notre petite station, il exhale le parfum sauvage et suave de son âme naïve et romantique… Car le romantisme, mademoiselle Louise, est sorti de ces vallons, de ces forêts, il est descendu des burgs ruinés dont se couronnent les coteaux du Rhin, et il est venu chez nous en cotte de mailles, casqué, emplumé, héroïque et frémissant. Il a régné sur nos boulevards, il a réglé la mode en poésie, en art, en amour. Et il a donné naissance à toute une génération de héros et d’héroïnes, qui, pâles et pensifs, ont modulé en longs soupirs les rêves de leurs âmes incomprises. On connut alors la haute cravate idéaliste et les cheveux ramenés en touffe sur le haut du front comme un nuage soucieux sur un sommet, tandis que les femmes laissaient leurs boucles couler à l’abandon, en saules pleureurs… Depuis lors, tout cela est évanoui, emporté à l’oubli, mais la nature est toujours fraîche et belle dans le charme invincible de son éternel renouveau.

À mesure qu’ils marchaient, quelques pins s’élevaient des broussailles, et tout à coup se déploya l’imposante forêt du Trautwald, couvrant tout un flanc de montagne de ses sapins orgueilleux. Ils y pénétrèrent, et aussitôt le demi-jour les enveloppa, mit autour d’eux une ombre pleine de mystère comme celle qui se répand dans les églises au jour tombant. Et les fûts des arbres se dressaient pareils aux piliers sans nombre de quelque inconcevable cathédrale qui ne finirait pas.

Ils allaient sans bruit sur le sol jonché d’aiguilles que l’hiver avait jaunies, et ils se taisaient, comme s’ils eussent craint d’entendre l’écho de leurs paroles monter dans le grand silence jusqu’à la voûte lointaine où s’entre-croisaient les dernières branches. Tout à coup le vent, semblable à un jeu d’orgue, passa dans les hautes ramures, en tira des accents sonores.

— On dirait de la musique, — fit Louise tout bas.