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une demande en mariage. Monsieur Rogé, mon associé, éperdument épris de mademoiselle Louise, m’a chargé de solliciter sa main. Voilà.

Les deux femmes rirent.

— Mon Dieu, je ne nie pas que cela peut sembler ridicule, et moi-même, je m’en amuse. Mais j’ai tort. Pour bien des jeunes filles, ce parti serait très acceptable. Rogé a cinquante-quatre ans, il a perdu sa femme et son unique enfant. Depuis lors, il s’est distrait comme il a pu, médiocrement. Je vous accorde qu’il n’est ni beau, ni jeune, ni spirituel, mais il a de la santé, de la droiture et une grosse fortune… Car notez que le bon, le sympathique Toussard, ne touche qu’un tiers sur les bénéfices, et Rogé est riche encore par sa famille et par celle de sa femme. Si mademoiselle Kérouall n’était pas la proie des rêves les plus follement romanesques, et si moi-même je faisais tout mon devoir, je l’engagerais à ne pas repousser d’emblée l’offre de cet honnête homme.

— Allons ! — dit Louise, moitié triste et moitié moqueuse, — monsieur Toussard, vous ne voudriez pas !…

— Ah ! par exemple, — s’écria-t-il, — voilà que c’est moi qui ne veux pas !… D’ailleurs, ne parlons plus de Rogé. En l’espèce, il n’est sans doute pas raisonnable, lui non plus. Ce que je veux dire, une bonne fois, à mademoiselle Louise Kérouall, c’est qu’il est dangereux de vouloir toujours jouer la difficulté ! À suivre la route commune, la vie n’est pas déjà facile : que penser d’une jeune personne qui tente de passer sur la corde raide, en donnant le frisson aux spectateurs ? Je ne prétends pas qu’elle ait de l’orgueil ou le désir d’étonner ; je crois qu’elle agit naïvement, parce qu’on l’a grisée avec les louanges prodiguées à sa beauté, funeste selon moi, et qu’on lui a perverti l’imagination. Je n’ignore pas dans quel mépris tomberont mes conseils ; sans doute, même, serai-je accusé de manquer de poésie, mais peu m’importe : je serai en règle avec ma conscience.

Louise, silencieuse, lui souriait affectueusement, devinant son amitié véritable sous le blâme de ses paroles. Mais elle l’avait à peine écouté : elle devait le lendemain revoir Jacques Lenoël.

Depuis plusieurs jours, elle savait qu’il allait revenir. Logée