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« Sans doute, avec ce portrait, Louise causerait un grand plaisir à ses parents. » — Elle songea à la modeste maisonnette de Port-Saint-Pierre, déjà réparée et embellie par elle, et sourit à l’idée d’accrocher l’œuvre du Vénitien dans le petit salon à manger, entre le bouquet de noces de ses parents, encadré et mis sous verre, et les photographies de ses sœurs en toilette de premières communiantes.

N’ayant pas répondu, Louise reçut une seconde lettre : Silveira suppliait qu’on lui accordât une pose de deux heures, le temps de faire un rapide schizzo de la tête et du buste, le reste de la figure devant être drapé. Il ne se mettrait à la peinture que plus tard, quand les jours seraient plus longs…

Un matin, à la veille du premier de l’an, Louise se rendit avec Félicité chez Silveira. Il occupait un petit hôtel, dans le haut du boulevard Malesherbes. L’habitation du peintre ressemblait à son talent : tous les styles y voisinaient. Seule la gamme savamment conduite des couleurs mettait quelque harmonie dans ces disparates. Le vestibule et l’escalier étaient de Renaissance flamande, s’ornaient de tapisseries, de boiseries sculptées. Des armures d’une splendeur douteuse luisaient dans l’ombre. Un salon oriental, turco-japonais, avec une cheminée en faïence persane, surmontée d’un Bouddha, s’ouvrait sur l’atelier décoré à l’italienne d’une colonnade dorée.

Cet atelier rappelait les somptueux dépôts de bric-à-brac installés de nos jours dans les palais du Grand Canal. Sur les murs où se suspendaient des velours de Gênes, des satins, de riches tissus, étaient attachés çà et là des chapeaux à plumes, des rapières, des masques, la collerette de Colombine et le bonnet d’un doge avec son manteau de pourpre. Dans un coin en retour, au-dessus d’un divan couvert de tapis précieux, s’avançait un dais de soie rose garni de dentelle d’or.

Silveira, habillé d’un complet de satin noir, les doigts chargés de cabochons de pierreries, vola au-devant de ses visiteuses.

— Ah ! salut, salut ! — s’écria-t-il.

Et, s’agenouillant sur un coussin :

— Je me prosterne devant la beauté !

Puis, prenant quelques fleurs dans des vases, il les répandit autour de la jeune fille.