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— Je n’ai pas eu un jour ou une nuit sans travail, mais je croyais mon ouvrage meilleur.

Et, après un léger soupir :

— Enfin, — dit-il, — nous verrons cela demain. Il est possible que vous ayez raison et que je me sois trompé.

Pour le jeune Paul de Larisse, il avait tout écouté les bras croisés et l’un de ses bras était caché dans sa poitrine. Lorsqu’il l’en tira, je vis que ses ongles étaient rougis et comme ensanglantés légèrement, mais il ne s’en aperçut pas ; il étendit cette main et s’écria :

— Maudite soit cette faible race qui ne peut supporter les conséquences de nos travaux ! et pour qui la vérité est toujours trop pesante ! Nous nous trompons sans cesse en espérant quelque chose d’elle, et les plus forts lui sont sacrifiés sans fruit.

Libanius sourit :

— Veux-tu empêcher, — dit-il, — mon enfant, que les cailloux de la grève ne s’arrondissent l’un sur l’autre, usés par le frottement de la mer ? Julien a-t-il murmuré lorsqu’il lui a fallu passer par tant d’épreuves, et s’est-il révolté contre la volonté immuable du Dieu créateur, lorsque nous sommes arrivés à douter ensemble du succès de sa tentative ? En sera- t-elle moins sublime ? En sera-t-il moins grand ? Tu te rapetisses beaucoup toi-même, mon cher Paul, par ces mouvements puérils. Avons-nous cessé d’être tous ici de même taille, et assez forts pour nous connaître nous-mêmes et nous contempler comme si la mort et les siècles avaient passé sur nous ? Par quel oracle, par quel messager le ciel nous avait-il promis qu’un jour tous les hommes arriveraient à marcher seuls et sans être soutenus par des poupées divines ? Le Verbe est la Raison venue du ciel ; si un faible rayon est descendu parmi nous, notre devoir est d’en perpétuer à tout prix la lueur précieuse.

Julien se leva et, s’appuyant sur Paul, il nous dit adieu avec le calme et la douceur d’un frère qui ne quitte sa famille que pour un jour. Il donna son front à Libanius pour y recevoir le baiser d’adieu. Ensuite il regarda longtemps encore la demeure silencieuse où nous étions, il respira l’air embaumé