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LA REVUE DE PARIS

corps ratatiné se remuait d’une façon extraordinaire, comme si elle cueillait sans cesse l’herbe de ses maigres mains, touchant presque la terre. C’est ainsi qu’elle avançait sur la grand-route, à travers l’église, dans les cours. Elle était toujours pressée. Si quelqu’un lui faisait l’aumône, elle tournait un peu la tête et regardait d’en dessous les gens, tel un vieux chien ridé plein de soucis. Elle fourrait d’un mouvement avide le pain dans sa besace ; elle mettait l’argent dans sa bouche et partait pour l’auberge. Les paysans riaient dans la taverne ; elle crachait l’argent sur le comptoir, jetait sous son bras la bouteille d’eau-de-vie, et jurant au milieu des chiens aboyants, vite, vite, elle allait à la maison, au moulin incendié qu’elle habitait naguère, — lorsque la roue tournait encore et que son mari, le meunier roux, vivait. Maintenant, encore, elle se dirigeait vers les ruines. Jella s’achemina derrière elle.

Depuis qu’elle se souvenait, elle avait toujours connu ainsi la mendiante ; elle l’avait toujours vue rôder autour du moulin. Dans son enfance, elle en avait peur ; plus tard, elle aimait entendre ses contes.

Jagoda était de celles qui connaissaient encore les nains de la forêt, et qui, dans les rochers, rencontraient le Spectre de la montagne à la barbe de pierre. Jagoda avait vu le feu ailé au-dessus de l’affreux gouffre du Jezero. Jagoda savait ce que dit aux hommes le mugissement de la forêt pendant les soirs glacés d’automne.

« La bora va souffler, — grognait-elle parfois lorsque le temps était ensoleillé et tranquille ; — je l’ai entendu dire sur le champ des pierres, par les chardons épineux. » Et le lendemain, les vents mugissaient et, en haut, les noirs nuages mouillés se lançaient en tonnant contre les monts. « Le froid vient », — grognait-elle au cabaret, tandis qu’on mesurait son eau-de-vie de prune. — « Le ruisseau est retourné cette nuit pour chercher de la glace, dans la crevasse sombre. » À la brume, la tourmente de neige sifflait sur les sommets, et dans le village les charretiers poussaient des cris, car ils ne se distinguaient pas dans le brouillard.

Tout le monde se moquait de la vieille à moitié idiote ; pourtant, en secret, chacun croyait superstitieusement en elle. On lui demandait comment serait la moisson ; on allait la