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AU PAYS DES PIERRES

trouver pour les herbes bienfaisantes, lorsque la maladie était à la maison. Jella s’imaginait à présent que Jagoda, qui savait ce qu’ignoraient les autres, pourrait peut-être venir à son secours. Elle pourrait lui donner quelque herbe desséchée qui lui ferait passer sa grande douleur du côté gauche.

Elle était déjà arrêtée près de l’ancien moulin. Les murs croulants se dressaient tristement dans le ciel, hors des sauvages broussailles. Sous eux, l’eau précipitée se vaporisait en un nuage argenté, et ses bords agitaient les brins de mousse gluante qui, comme autant d’aiguillons de glace verte dégouttante, pendaient de la roue immobile. Il devait y avoir bien longtemps que le moulin était mort. Depuis, un arbre avait poussé sur les décombres de l’âtre. Les buissons entraient par l’ouverture béante de la porte ; sous le plafond pendant, les oiseaux avaient construit, dans la dévastation, des nids toujours renouvelés.

Un insecte s’éleva au-dessus du torrent. Jagoda était courbée sur un tas de débris et regardait la roue rongée, comme si elle attendait qu’elle se mît en marche. Lorsque Jella s’accroupit près d’elle, elle ne leva pas même les yeux, elle ne bougea même pas. Elle hochait seulement la tête, comme celui qui approuve des paroles entendues de loin ; et elle caressait de ses mains desséchées et brunes la terre herbeuse. Beaucoup de temps passa ainsi ; enfin, sans qu’elle levât les yeux, elle grogna :

— Ta mère est donc partie ?

Jella, comme si elle attendait cette demande, se pencha près du visage de Jagoda en retenant sa respiration :

— Mais n’est-ce pas qu’elle reviendra ?

— Oui, — soupira la vieille. — Les gens reviennent, seulement les hommes ne les reconnaissent plus.

La fille comprit simplement que sa mère ne l’avait pas abandonnée ; ses yeux se rassérénèrent. Quant à Jagoda, elle se mit à nasiller, comme si elle parlait en songe :

— Stevo, le meunier, est aussi revenu, le moulin est aussi revenu. Car autrefois, tout était à nous ici : la maison, le ruisseau, la forêt, et la roue marchait. Tu ne pourrais pas rêver, ma Jellitza, quel joli son rendait l’eau… Puis Stevo tomba malade. Ni le prêtre, ni les herbes, ne le secoururent.