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AU PAYS DES PIERRES

service de la barrière. Elle chassait les chèvres dans le fossé du talus et travaillait elle-même autour de la maison. Le petit jardin était plein de fleurs. Derrière l’étable, les mauvaises herbes n’envahissaient plus le petit carré de pommes de terre. Pierre était tranquille et satisfait comme jamais auparavant, et lorsqu’il voyait travailler Jella, il hochait silencieusement la tête.

« Elle finit tout de même par s’habituer à la vie normale. »

Il se réjouissait qu’il ne fût plus question entre eux d’errer par les forêts. Ainsi tout était rentré dans l’ordre, spontanément, et c’est ce que Pierre aimait le plus au monde.

Jella, comme si elle avait senti qu’on l’observait, appuya son pied sur sa bêche et regarda de côté.

Les nombreuses petites rides remuèrent sur le visage de Pierre. Il se mit à rire.

— Par Dieu ! tu es belle !

L’épouse enfant sourit, d’un sourire reconnaissant, d’un sourire de femme, tout en jetant un coup d’œil vers la maison de garde voisine, comme si elle avait voulu savoir si l’on voyait aussi sa beauté de là-bas. Elle continua de travailler. Cependant l’homme aurait voulu bavarder, mais aucune idée ne lui venait à l’esprit.

— J’ai fini mon tabac, — grogna-t-il enfin ; pourtant ce n’était pas là ce qu’il aurait voulu dire.

Jella repoussa la bêche et s’essuya le visage avec son tablier.

— La faucille est cassée. Je vais aller au village, — dit-elle.

Pierre alla plus loin, Jella se dirigea vers la maison. Aucun d’eux ne se retourna et pourtant jamais plus ils ne pensèrent l’un à l’autre avec un cœur plus chaud qu’à cette minute.

Lorsque la femme eut tiré à sa place le petit rideau rouge de la fenêtre, elle regarda par-dessus les géraniums. Elle ne songea plus à Pierre. André Rez se tenait sur le talus et Jella se mira dans la glace, pour voir si elle était vraiment belle. Elle se prit à rire. Tout était serein autour d’elle. À travers le rideau rouge, la lumière se fondait sur le mur, en teinte rose.

Tout était rose et gai : la « Naissance du Christ » au-dessus du lit, la Sainte-Vierge en plâtre sous une cloche de verre, le chien d’albâtre sur la commode à trois tiroirs et les fruits en cire dans la corbeille de bois découpée en forme de feuillage.