Page:Revue de Paris - 1913 - tome 5.djvu/878

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
872
LA REVUE DE PARIS

seuls sur la table. L’homme n’osait plus mentir. Il aurait aimé à être chez lui, mais l’orage le rejetait du seuil.

— C’est le jugement dernier. Cela ne signifie rien de bon — dit le Croate, et il fit le signe de la croix.

— Jugement dernier ! — répéta Jella, et il y avait dans sa voix une menace étouffée. Comme autrefois, avant qu’elle sût aimer, elle sentait de nouveau des pierres en elle, des pierres dures, avec lesquelles on pouvait assommer quelqu’un.

Le pétrole avait brûlé dans la lampe. En face, dans le mur, lentement, lentement, un carré couleur de plomb apparut ; dans le carré une croix noire.

Jella passa sa main sur son front. Quand avait-elle vu ainsi le petit jour ? On aurait dit que le croisillon se rapprochait d’elle.

— Quelqu’un meurt.

Elle frissonna frileusement, et elle se rappela sa mère, le fichu rose, le cimetière, bien des choses auxquelles elle n’avait plus pensé depuis longtemps. Tout à coup, il lui sembla voir Jagoda, dans la porte. « N’est-ce pas qu’il revient ? Mais pas comme tu l’attendais ! » Puis la petite vieille desséchée était assise sur le sol, devant l’âtre, et elle la regardait par-dessous, avec son visage de travers. « La vie est épouvantable. L’action de mourir est encore de la vie. La mort est bonne ; la mort est paisible. »

Jella ferma les yeux et pria.

L’orage s’apaisa avec lenteur. Il siffla péniblement au-dessus des rails. Un brouillard épais et gluant tomba de la gorge au talus ; des nuages mouillés se déroulaient des montagnes. Ils étranglèrent le vent.

Pierre alluma la mèche dans la lanterne et ouvrit la porte. La fumée de la pipe monta en tournoyant dans l’air froid. On entendait déjà au dehors la toux de l’homme. Le nimbe brillant de la lanterne qui s’éloignait, s’amollit et se désagrégea dans le brouillard.

Jella, demeurée seule, crut que la pendule tictaquait plus lentement encore que les autres fois.

Pourtant, elle aurait voulu que le temps passât avec une vitesse folle ; car il ne lui était plus possible de vivre ainsi sans agir. Elle referma les mains en l’air. Elle aurait voulu étrangler