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AU PAYS DES PIERRES

quelqu’un. Puis elle entendit de nouveau le toussotement de Pierre. Elle devint furieuse d’être troublée. L’homme vint sous la fenêtre à pas glissants de veilleur. Il s’arrêta sur le seuil. Il se rappela que Jella ne s’était pas couchée de la nuit.

Il murmura, en bâillant, une phrase qui voulait dire qu’elle pouvait bien dormir jusqu’à ce que le train passât, amenant André et la femme.

Brusquement, Jella releva la tête d’une façon menaçante. Pierre, stupéfait, posa la lanterne sur le seuil. Il vint à Jella et, de ses bons yeux gris, il la regarda aussi anxieusement que lorsqu’il la vit pour la première fois.

— Es-tu malade ? — demanda-t-il peureusement ; — enfin ! il va y avoir une femme dans le voisinage.

— Une femme ?

— Eh bien ! celle d’André, — grogna l’homme, et il y avait de la joie dans sa voix.

— Celle d’André !

Jella sauta du banc comme un fauve. Elle haïssait Pierre de pouvoir se réjouir tandis qu’elle souffrait, et parce qu’il ne savait rien. Elle aurait voulu qu’il sût aussi. Et la puissance destructive se remit à brûler dans ses yeux.

— Je les détruirai.

Pierre ne comprenait toujours rien. Il la regarda avec un étonnement figé.

— Mais qu’est-ce qui te prend ? Pourquoi ? Es-tu devenue folle ?

Jella ne savait plus ce qu’elle voulait, ce qu’elle disait. Les torrents sauvages qui bouillonnaient dans son sang l’entraînaient.

— Pourquoi ?

De ses deux mains, elle froissa sa poitrine comme si elle avait voulu, dans son tourment, déchirer son propre cœur.

— Pourquoi ?

Et sa voix se brisa :

— Mais c’était mon amant !

Les yeux de Pierre devinrent subitement troubles. Ses genoux chancelèrent, et une expression de ressouvenir hébété se peignit sur son visage, puis, lentement, ses lèvres prirent une teinte violacée.