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LA REVUE DE PARIS

Il respira en râlant :

— C’est impossible ! Tu mens ! Dis que tu as menti !

Les mots se collaient à sa langue. Son corps pencha de travers et se ramena sur lui-même épouvantablement.

Jella se sentait allégée, depuis qu’elle ne souffrait plus seule. Elle portait haut la tête, comme si, avec un cruel plaisir, elle avait voulu contempler toute la dévastation.

— Je n’ai pas menti.

Pierre s’avança en trébuchant

— Tu mens ! Tu mens !

Sa poitrine sifflait, ses épaules tremblaient et il saisit la femme à la gorge. Hors de lui, il sentait sous ses doigts la pulsation de chaque petite veine sur le jeune cou. Il aurait voulu la traîner à terre, piétiner sa face de ses bottes ferrées, pour qu’elle ne pût regarder personne avec ses beaux yeux.

Jella le fixa avec une terreur curieuse. Puis elle arracha de son cou les mains qui l’enserraient :

— Pas moi ! Lui ! Lui !

Elle était plus forte que Pierre. Elle le rejeta en arrière d’un air de mépris et l’homme chancela en poussant un épouvantable cri d’impuissance. Il tomba sur le banc. Ses yeux s’éteignirent. L’une de ses mains pendit, comme estropiée, vers la terre ; l’autre montra la porte. Il ne pouvait parler, et pourtant, Jella se recula devant lui, terrifiée.

Elle se mit à courir, dehors, dans le brouillard de plomb, vers la gare. Une sonnerie sourde parvint de la maison de garde jusqu’à elle, à travers l’air humide. Un instant elle se retourna. Elle se rappela que ce timbre signalait le train d’André. Elle se remit à courir.

Pierre aussi frémit en entendant le signal. Lui aussi sortit en courant de la maison, mais il ne vit plus la femme dans le brouillard.

Jella marchait sous le mur de roc blanchâtre. Elle s’élança, aveuglée, devant la maison d’André et galopa vers le tunnel du nord. Au tournant, elle s’arrêta soudain. Sa tête ne brûlait plus. Elle regarda devant elle, toute pâle. Dans le brouillard une masse grise se tassait le long des rails. Jella venait de trouver ce qu’elle cherchait instinctivement. L’orage de la nuit avait poussé un morceau de rocher au bord du talus. Elle