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Page:Revue de l'art ancien et moderne, juillet 1906.djvu/507

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Londres, possède un volet de triptyque, peint à l’huile sur fond d’or délicatement guilloché, qui a été vendu à Berlin. Le panneau fut étudié en 1905 par M. Herbert Cook ; il s’empressa de le publier dans la Gazette des Beaux-Arts[1].

C’est un grand saint Michel en armure, l’épée levée sur le dragon infernal, dont la queue frôle un petit donateur agenouillé aux pieds de l’archange. La merveilleuse finesse de la technique n’enlève rien à la bizarre et fière allure des silhouettes. L’archange a le type des figures imberbes de Rogier van der Weyden. Le monstre, énorme scarabée Goliath, dont la carapace couleur d’agate est incrustée de pierreries, annonce les féeries diaboliques de Jérôme Bosch. Les matières précieuses, perles, gemmes, cristal de roche, soies, velours, brocart, sont imitées avec cette exactitude dont les Van Eyck avaient découvert le secret, et qui semble faite pour tromper le toucher autant que la vue. Le métal de l’armure blanche est astiqué par le bon fourbisseur, et sur le corselet toute une ville se mire, avec ses clochers et ses tours. Ce sont virtuosités de Flamand. Mais qui, parmi les peintres des Flandres dont le nom et les œuvres nous sont connus, aurait imaginé l’inflexion gracieuse du corps juvénile qui ploie sous l’armure de parade, et le tumulte fanfaron du grand manteau claquant autour du chevalier comme un étendard de velours et de soie ?

L’œuvre, en effet, porte la signature d’un maître inconnu jusqu’ici. Sur un carré de parchemin déplié et comme jeté sur l’herbe fleurie, devant le donateur du triptyque, — sans doute quelque Michel, — un nom est calligraphié en caractères cursifs : Barlolomeus Rubeus. Au-dessus du nom, le sigle Ihs, une invocation de l’artiste ; après le mot Rubeus, un paraphe composé avec la lettre f, et qui est la griffe du peintre : fecit. Rien de plus : la patrie du maître demeure un problème. Ce nom latinisé, en quelle langue convient-il de le traduire ?

Si le tableau avait été découvert un an plus tôt, un connaisseur, quel qu’il fût, n’aurait sans doute guère hésité : devant une œuvre de pure technique flamande, mais plus nerveuse qu’un panneau de peintre flamand et plus agitée, il eût pensé à l’Allemagne. Une place provisoire aurait été cherchée dans l’histoire artistique des pays du Nord, et plus près de Wohlgemüth que de Rogier van der Weyden, pour un Meister Roth.

  1. Année 1903, 3e pér., t. XXXIII, p. 303-304.