Page:Revue de l'art ancien et moderne, juillet 1906.djvu/51

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38 LA REVUE DE L'ART El Pescadoret (le petit pêcheur), et Luis Gil Ranz, n'avaient pas l'esprit d'une envergure suffisante pour s'assimiler le génie du maître et en tirer parti; celui-là l'aida dans ses fresques de San Antonio de la Florida, celui-ci l'accompagna dans son voyage en Aragon, entrepris sur l'ordre de Ferdi- nand VII, pour y recueillir les matériaux nécessaires à la reproduction des principaux épisodes de la guerre de l'Indépendance, et surtout du siège de Saragosse, projet qui, d'ailleurs, n'eut pas de suite. Ces deux peintres n'ont qu'une valeur secondaire, et leurs ouvrages, dans lesquels ils touchèrent à tous les genres, ne méritent qu'une atten- tion relative. Leonardo Alenza fut beaucoup plus l'élève d'Antonio . Ribera, imbu des idées de rénovation antique qu'il tenait de notre David, que celui de Goya; néanmoins, il se rapproche plus du maître qu'aucun autre artiste de son temps, et les deux portraits qu'on voit de lui au musée d'art moderne de Madrid, — le sien propre et celui de Passuti, intendant général de la maison d'Osuna, — sont loin d'être sans mérite. Mais que furent ces peintres, même Leonardo Alenza à côté de Lucas ? Celui-ci possédait une qualité rare et précieuse entre toutes, qui le plaça du premier coup au-dessus d'eux : la mémoire picturale. Bien avant Lecoq de Boisbaudran, il mit en pratique la théorie chère à cet éducateur, qui conseillait à ses élèves de reproduire le soir, en rentrant à l'atelier, ce qui les avait frappés pendant la journée, aussi bien dans leurs courses vagabondes à travers la ville ou les campagnes que dans leurs visites aux musées ou aux monuments publics. En voici une preuve caractéristique. On lui demande un jour une esquisse d'après le fameux tableau des Lances, de Velazquez. Il s'en va alors, pour s'imprégner du chef-d'oeuvre, le contempler plusieurs heures de suite; puis, rentré chez lui, il en brosse en moins d'un après-midi une interprétation, sinon des plus fidèles, du moins bien dans le caractère. Celle-ci, de près de deux mètres de large sur un mètre de haut, a été vendue depuis à l'hôtel Drouot l'honnête somme de 13.000 francs à un riche ama- teur étranger. Elle fait aujourd'hui partie de sa galerie — fort prisée et fort estimée, — où elle passe pour une réduction ou une variante de la toile du musée du Prado. Le fait est moins extraordinaire qu'il ne paraît au premier abord, car chez un collectionneur russe fixé à Paris, M. Ivan