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augusta holmès.

d’un magnifique sentiment que Mlle Holmès, dans un moment de farouche « vellédisme », venait d’écrire au bruit des obus environnants. Tous les trois, nous portions une casaque de soldat. Regnault portait la sienne, dans Paris, pour la dernière fois. Chose qui, depuis, nous est bien souvent revenue vivante dans l’esprit ! Il nous chanta, vers minuit, une impressionnante mélodie de Saint-Saëns, dont voici les premières paroles :

Auprès de cette blanche tombe
Nous mêlons nos pleurs…

(La poésie est, je crois, de M. Armand Renaud.)

Et Regnault la chanta d’une manière qui nous émut profondément, nous ne savions pourquoi. Ce fut une sensation étrange dont les survivants se souviendront, certes, jusqu’à leur tout d’appel.

Lorsque nous rentrâmes après le dernier serrement de mains, nous y pensions encore, M. Mendès et moi. Bien souvent, depuis, nous nous sommes rappelé ce pressentiment.

Regnault trouva chez lui l’ordre écrit de partir le lendemain matin avec son bataillon. On sait ce qui l’attendait le lendemain soir.

Ainsi fut passée, chez Mlle Holmès, la dernière soirée de ce grand artiste, de ce jeune héros[1]. »

Dans une lettre adressée à son vieil ami, le poète Émile Deschamps[2], au lendemain de l’armistice, Augusta Holmès exprimait en quelques mots pénétrants la douleur qu’elle ressentit de cette mort et la haute estime où elle tenait le talent de l’artiste disparu : « On m’a tué mon frère, Henri Regnault. La dernière balle de Buzenval a frappé le seul peintre de génie que la France possédait. »

R. Pichard du Page.

(À suivre.)

  1. Chez les Passants.
  2. Lettre inédite que m’a très aimablement communiquée M. Henri Girard, l’auteur d’une thèse qui sera prochainement soutenue et publiée sur le poète.