Aller au contenu

Page:Revue de l'histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, année 1919.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
264
l’interprétation de versailles

Par contre, voici d’Émile Zola une page qui met curieusement en lumière le procédé dont l’auteur de Germinal a obtenu de si puissants effets, en amplifiant jusqu’au symbole et jusqu’à une allure d’épopée les actes les plus simples de la vie quotidienne. Sans doute, Zola exégère quelque peu lorsqu’il entrevoit une forêt vierge aux alentours de la Cour de Marbre et qu’il découvre un champ de giroflées sauvages auprès de la statue de Louis xiv. Mais cette page a été écrite vers 1870, alors que le Château ne s’était pas encore éveillé à une vie nouvelle. En 1920, nous nous trouvons heureusement assez loin de la sombre prophétie d’Émile Zola.

« J’étais allé à Versailles, et je montais la vaste cour des Maréchaux, solitude de pierre qui m’a rappelé souvent la lande déserte de la Crau, dont la mer de cailloux verdit au grand soleil.

….. Et je vis à droite, dans un coin perdu de cette lande, la vieille femme, la Sarcleuse légendaire qui, depuis cinquante ans, arrache l’herbe des pavés. Du matin au soir, elle est là, au milieu du champ de pierre, luttant contre l’invasion, contre le flot montant des giroflées sauvages et des coquelicots. Elle marche courbée, visitant chaque fente, épiant les brins verts, les mousses folles. Il lui faut près d’un mois pour aller d’un bout à l’autre de son désert. Et, derrière elle, l’herbe repousse, victorieuse, si drue, si implacable, que, lorsqu’elle recommence son éternelle besogne, elle retrouve les mêmes herbes poussées de nouveau, les mêmes coins de cimetière envahis par les fleurs grasses.

La Sarcleuse connaît la flore de ces ruines. Elle sait que les coquelicots préfèrent le côté sud, que les pissenlits poussent au nord, que les giroflées affectionnent les fentes des piédestaux. La mousse est une lèpre qui s’étend partout. Il y a des plantes persistantes dont elle a beau arracher la racine et qui repoussent toujours.

….. Mais il faut entendre la Sarcleuse raconter l’histoire de ces herbes. Elles n’ont pas poussé à toutes les époques avec la même sève. Sous Charles x, elles étaient encore timides, elles s’étendaient à peine comme un gazon léger… Sous Louis-Philippe, les herbes se durcirent ; le château, peuplé des fantômes paisibles du musée historique, commençait à n’être plus que le palais des ombres. Et ce fut sous le second Empire que les herbes triomphèrent ; elles grandirent impudemment, prirent possession de leur proie, menacèrent un instant de gagner les galeries, de verdir les grands et les petits appartements.

J’ai rêvé, à voir la Sarcleuse s’en aller lentement, le tablier plein d’herbes, courbée dans sa vieille jupe d’indienne. Elle est la dernière