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Page:Revue de l'histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, année 1919.djvu/279

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dans la littérature contemporaine.

pitié qui empêche aux orties de monter et de cacher la tombe de la monarchie. Elle soigne, en bonne femme, cette lande où poussent les verdures des fosses.

Je me suis imaginé qu’elle était l’ombre de quelque marquise, revenue d’un des bosquets du parc, et qui avait la religion de ces ruines. Elle lutte sans cesse, de ses pauvres doigts raidis, contre la mousse impitoyable. Elle s’entête dans sa besogne vaine, sentant bien que, si elle s’arrêtait un jour, le flot des herbes déborderait et la noierait elle-même. Parfois, elle se redresse et jette un long regard sur le champ de pierres, elle en surveille les coins éloignés où la végétation est plus grasse. Et elle reste là un instant, la face pâle, comprenant peut-être l’inutilité de ses bons soins, heureuse de la joie amère d’être la suprême consolatrice de ces pavés.

Mais il viendra un jour où les doigts de la Sarcleuse se raidiront encore. Alors, le champ de pierres sera livré aux orties, aux chardons, à toutes les herbes folles. Il deviendra broussaille énorme, taillis de plantes tordues et aigres. Et la Sarcleuse se perdra dans les fourrés, écartant des poignées de tiges plus hautes qu’elle, se frayant un passage au milieu de brins de chiendent grands comme de jeunes bouleaux, luttant encore, jusqu’au jour où ces brins la lieront de toutes parts, la prendront aux membres, à la taille, à la gorge, pour la jeter morte à cette mer qui la roulera dans le flot toujours montant des verdures[1]. »


Ce ne sont là, sous la plume du maître de Médan, que quelques notes jetées au hasard de ses impressions. Le roman naturaliste de Versailles, le roman à la mode de 1880, c’est M. Léon Hennique qui devait l’écrire. Il est intitulé : L’Accident de Monsieur Hébert[2].

M. Léon Hennique, membre de l’Académie Goncourt, est aujourd’hui l’un des derniers survivants de l’École naturaliste. Il n’a publié qu’un petit nombre de volumes, parmi lesquels l’Accident de Monsieur Hébert reste son œuvre la plus connue.

L’action du roman n’a rien de très original : c’est à peu près le thème de l’immortelle Madame Bovary, transposé dans un milieu social d’un niveau plus élevé et dans le cadre de Versailles. M. Hébert est procureur de la République à Versailles ; son accident est celui-là même qui survint au

  1. Nouveaux Contes à Ninon : Souvenirs ; Paris (Fasquelle), 1874 ; in-12.
  2. Paris (Fasquelle), 1884 ; in-12.