Page:Revue de l’Orient, tome 5.djvu/281

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les jeunes pousses de corne de cerf dont nous avons parlé plus haut.

C’est donc en suivant une politique entièrement opposée à la politique européenne, que le gouvernement de Corée cherche à tenir le peuple dans la soumission. Chez nous, c’est la richesse, l’instruction et la liberté de la nation qui font la force du gouvernement : en Corée, au contraire, c’est sur la pauvreté, l’ignorance et l’asservissement du peuple que le pouvoir s’appuie. Il est vrai de dire, cependant, que, malgré ses tyranniques efforts, malgré même le puissant soutien qu’il trouve dans le corps aristocratique, le gouvernement coréen ne jouit d’aucune force réelle, et qu’il faudrait très-peu de chose pour le renverser. Obligée, pour sa propre conservation, de s’entourer du petit nombre de troupes qu’elle a à sa solde, l’autorité n’a ni le pouvoir, ni la volonté d’exercer une police salutaire et de fournir aux habitants des campagnes la sécurité si nécessaire aux travaux agricoles. Il résulte de là que le pays est infesté de brigands organisés en bandes nombreuses, bien supérieures en force aux villages sans garnison, et qui sont même capables de lutter avantageusement avec la milice, si elle osait les affronter en rase campagne. Ces bandes de voleurs parcoururent le pays à l’époque où le laboureur recueille le fruit de ses travaux : elles pillent tout ce qui leur convient, ravagent ce qu’elles ne peuvent pas emporter, et mettent souvent le feu aux hameaux qu’elles ont dévastés. Le paysan sait qu’il est pour le moins inutile d’opposer une résistance quelconque, aussi n’est-ce pas en se défendant qu’il cherche à se soustraire à cette calamité ; c’est en se retirant le plus tôt possible avec sa famille et son bien dans les villes fortifiées où se tiennent les mandarins et les soldats. Les fortifications de ces villes consistent en un mur continu, haut de 8 à 10 mètres, et garni de nombreux créneaux. Du côté intérieur, un talus de terre en pente douce sert non-seulement de soutien au mur d’enceinte, mais aussi de montée facile aux soldats et aux habitants chargés de défendre la place. En cas d’attaque, les sentinelles donnent le signal d’alarme par un certain nombre de coups de gong ou tam-tam, et aussitôt tout le monde accourt sur les remparts, les uns armés de mousquetons, les autres d’arcs et de flèches, de pierres ou d’autres projectiles plus redoutés que redoutables. On conçoit facilement combien l’agriculture doit souffrir de l’état de crainte continuelle où se trouve le laboureur pendant qu’il habite les champs, et plus encore de l’absence qu’il est obligé de faire à l’époque des brigandages. Ce que l’on aura de la peine à concevoir, c’est que les Coréens n’ouvrent pas les yeux sur leurs propres intérêts, et ne secouent pas le joug d’un gouvernement en décadence qui sait bien les opprimer, mais nullement les défendre contre leurs ennemis.

Si nous en croyons les histoires publiées dans le pays, la Corée était, au xviie siècle, un des royaumes les plus florissants de l’Asie orientale ; et il faut, en effet, qu’elle ait eu dans ce temps-là une administration bien plus sage et une force militaire bien plus redoutable, pour avoir battu tour à tour les Chinois et les Japonais qui ont cherché à l’envahir. Ces derniers ont été contraints, en évacuant la Corée, à signer un traité en vertu duquel ils doivent fournir à perpétuité 300 hommes en otage. Le traité a été mis à