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reconnaître la part de la corruption, c’est-à-dire de l’influence étrangère, telle n’est pas une des moins délicates opérations confiées aux soins de l’historien analyste.

Le savant et profond philosophe à qui nous devons la remarquable Histoire de la langue française[1], a longuement insisté sur ce point. Il est besoin d’une force réelle pour ne pas se laisser entraîner à reproduire, à chaque instant, quelques passages de ces fortes études, si serrées d’analyse, si pénétrantes dans les déductions.

Quelle netteté, par exemple, dans le tableau que nous présente M. Littré, de la priorité linguistique de la langue d’oïl et de la langue d’oc sur leurs congénères novo-latines ! — Ce mot de priorité demande à être bien compris. Il ne donne nullement à entendre, remarquons-le avec soin, que l’on ait parlé français ou provençal avant de parler espagnol ou italien, mais bien que la langue d’oc et la langue d’oïl sont plus proches du latin[2], leur tronc originel, que les deux dialectes espagnol et italien. L’Italie resta muette pendant ces périodes, si riches dans les Gaules, du xe, du xie , du xiie siècle, et de la meilleure part du xiiie. Il ne saurait être question d’une vieille langue italienne dans le sens où l’on dit « le vieux français ». Et quels sont les premiers parleurs de cette belle langue italienne, apparaissant tout à coup, éclatant pour ainsi dire, à ce même âge où le vieux français fait place aux premiers essais de français moderne ? C’est Brunetto Latini qui, en 1266, vient chercher, au sein même de notre pays, les précieux trésors de la littérature française ; c’est Dante, son élève, qui soutient à Paris, en 1304, une de ces thèses fameuses, à la Pic de la Mirandole, contre

  1. Paris, 1863, 2 vol.
  2. Communément parlé, bien entendu.