Aller au contenu

Page:Revue de métaphysique et de morale, 1897.djvu/576

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

M2 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

coup le voici horizontal, par terre ; il est peu de personnes qui ne perdent invinciblement leur sérieux devant cette chute brusque, quittes à se raviser instantanément.

Si l’homme qui tombe mettait du temps à tomber, bien des personnes obtiendraient d’elles de ne pas rire, parce qu’elles auraient le loisir de penser aux conséquences possibles. Cela nous révèle une condition remarquable de ce rire il faut que l’idée des conséquences fâcheuses qui peuvent résulter du fait soit absente de l’esprit pour un moment.

Je note donc qu’il y a un rire d’étonnement, de surprise ; que l’imprévu dans les objets ou les événements pourvu qu’il ne soit pas trop désagréable – peut faire rire ; et que nous rions particulièrement de ce qui, selon nos idées du moment, est inopportun, ou inconvenant, ou déplacé, ou mal ajusté, ou désajusté, ou dissonant1, ou contradictoire. Et peut-être qu’au fond tout ceci répond à une seule et même défectuosité. C’est ce que nous verrons plus tard. II faut en convenir, nous rions également des petites misères de la vie, des légers déboires, des mécomptes, désagréments et déconvenues éprouvés par notre voisin. Ce qui nous excuse un peu, c’est que nous sommes capables de rire encore quand c’est nous-mêmes que ces petits malheurs atteignent. En France et probablement aussi ailleurs, – certaines classes, qui vivent beaucoup en commun, les matelots, les soldats, les ouvriers, les artistes ont une remarquable facilité à rire d’eux-mêmes.

On dira que trop souvent les hommes rient des vrais malheurs. Cela est vrai. La haine, un brutal égoïsme, parfois l’étourderie ou le manque d’imagination, produisent cet effet. Mais tandis que le rire provoqué par les petites misères est fort bien accueilli en littérature, le rire haineux ou égoïste n’est pas admis ; il n’a pas l’assentiment du public.

A résumer mes observations ou impressions, à exprimer brièvement ce qui me paraît, en résulter, je dirai le comique est fait soit avec du simple imprévu, soit avec de l’inconvenance au sens très large du mot soit avec du désappointement ; chacun de ces éléments étant d’ailleurs, susceptible d’un grand nombre de formes et de degrés. A présent, ceci demande à être un peu commenté Je ne crois pas que ce soit du vice en soi que l’on rie. On rit des 1. Il est certain que les musiciens rient d’une brusque dissonance.