Page:Revue de métaphysique et de morale, 1897.djvu/577

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P. LACOMBE. DU CO)IIQUE ET DU SPIRITUEL. 873 mauvaises mesures que le vice prend pour se satisfaire et qui le mènent à un mécompte, des masques qu’il prend pour se dérober et derrière lesquels on le voit en plein. Bref ce n’est pas l’aberration morale, c’est l’erreur intellectuelle, la maladresse qui réjouit le spectateur. Mettez en scène un vicieux qui ne manque aucune de ses mesures, qui atteint toutes ses visées, fait illusion à tout le monde, je ne pense pas qu’on rie ; on sera froissé, porté à l’aversion et à l’indignation.

Le rire provoqué par les petites misères doit être, je crois, interprété de même. On rit parce qu’il y a surprise, ou attente trompée, espérance déçue, c’est-à-dire en somme faux calcul, erreur intellectuelle. Ou bien encore le rire tient à la façon dont la victime reçoit ces petits désagréments, à une impatience, une colère, un abattement que le spectateur juge disproportionnés, ou au moins inutiles., ne remédiant à rien.

Donc, selon moi, en littérature, on ne rit pas plus du malheur d’autrui, en tant que malheur, qu’on ne rit du vice, en qualité de vice.Je l’affirme du moins pour ce premier moment où le rire éclate. Plus tard il y a une distinction à faire. En ce premier moment le rire est une réaction, une vive réplique de la raison frappée par la vue d’une inconvenance (en prenant toujours ce mot dans son acception la plus large), c’est une émotion tout à fait intellectuelle, et en quelque manière spéculative ; je veux dire oublieuse dés conséquences pratiques ou morales.

Examinons un peu quels sont lés moyens les plus sûrs pour faire rire.

L’auteur n’a qu’à nous montrer quelqu’un qui est aveugle sur des choses que nous voyons, nous, clairement. Que ce soit un homme grave qui porte par derrière à son collet, sans le, savoir, une patte de lapin, ou que ce soit un homme qui promène sur le théâtre un vice qu’il croit bien secret et que perçoivent des milliers de spectateurs (ce qui me fait l’effet d’une sorte de colin-maillard moral), ce moyen réussit toujours.

Autre moyen, signalé avec raison par Bain comme très sûr ` effrayer quelqu’un sur un danger qui n’existe pas, ou le mettre en colère pour un motif qui n’est pas réel. Dans les deux cas, il y a tromperie, mais rit-on du fait de la tromperie ? Non, à mon sens. C’est l’aveuglement du trompé, c’est son erreur qui préoccupe notre esprit et suscite notre gaieté. Vous allez voir en effet qu’on rit