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J. LAGNEAU.FRAGMENTS.

l’application opportune à telle ou telle matière qui lui est conforme constitue la vérité.

La volonté c’est la pensée en tant qu’elle doute d’elle-même dans cette application, c’est-à-dire en tant qu’elle affirme au seuil de la connaissance la possibilité de l’erreur.

La raison c’est la pensée en tant qu’elle pose sa propre nature.

La liberté, ou la raison réfléchie, ou la philosophie, c’est la pensée en tant que, comprenant par la réflexion le sens des formes, c’est-à-dire de la nature qu’elle s’est donnée, elle s’affranchit de ses objets et d’elle-même en tant qu’objet, c’est-à-dire c’est l’immanence de l’être à la pensée et le sentiment de cette immanence.

Autrement dit la liberté c’est la pensée supra-intellectuelle ou la pensée identique à son objet, ou le sentiment absolu, la pensée détachée des idées, comme insuffisantes, le détachement métaphysique.

En somme la réfutation de Spinoza est dans la nécessité de concevoir le rapport de l’idée claire à l’idée confuse, de la pensée à l’imagination, de la connaissance à la croyance, comme celui d’une forme à une matière (comme un rapport de convenance supposant dans celle-ci l’analogue de celle-là), et le passage de l’une l’autre comme un passage de la puissance à l’acte. (Spinoza a bien conçu la nécessité de l’imagination, mais comme d’une connaissance occasionnelle et non comme de l’objet même de la pensée.)

De cette distinction résulte un écart absolu, un vide dans toute connaissance ; qui est comblé par la volonté, et dont l’idée est la volonté[1].

Mais l’opposition de la matière et de la forme n’est que provisoire, relative, apparente. Elle disparaît dans la Liberté.

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Deux idées cardinales de Spinoza :

1. Définition de l’idée adéquate comme l’idée conçue conformément à la nature de l’entendement.

2. Axiome sur l’idée intellectuelle seule absolue, seule pouvant subsister sans les autres modes de pensée, ceux-ci non sans elle.

Remarquer aussi les deux sens du mot idée, l’idée-âme et l’idée-connaissance, celle-ci seule en réalité doublant tout comme essence réalisée.

  1. Non, c’est la liberté dans la volonté, et au-dessus, la vraie idée de la volonté. (Note de J. Lagneau.) – Cette note se rapporte à deux passages des manuscrits. E.C.