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J. LAGNEAU.FRAGMENTS.

Cherchons donc 1o ce qu’un souvenir reconnu comme tel, en tant qu’image ou pure idée (c’est-à-dire dans sa matière), a de moins qu’une perception actuelle.

2o Ce qu’il a en tant que souvenir (c’est-à-dire dans sa forme) de plus qu’une image ou une pure idée.

1o Une image ou une pure idée, par suite un souvenir, se distingue de la perception actuelle en ce que nous avons prise sur celle-ci et pouvons la faire varier harmoniquement dans son ensemble suivant une loi fixe que l’étendue figure, tandis que sur les autres, quoiqu’elles puissent dépendre de notre volonté, nous n’avons pas cette prise donnée.

Ainsi le souvenir, en tant qu’image ou pure idée, est reconnu parce qu’il ne fait pas corps avec la perception actuelle.

2o Mais pourquoi est-il projeté dans le passé, au lieu d’être confondu avec les autres images ou pures idées ? C’est que, sans être une perception sur laquelle nous ayons prise, il est pourtant une perception, et par là se distingue de l’imaginaire et de l’idéal. En effet il tend à se déterminer indépendamment de nous et à s’imposer à notre pensée comme un objet tout aussi bien que la perception présente. Il y tend, il est vrai, sans y parvenir, de sorte que nous avons alors deux perceptions également subies, mais l’une déterminée ou déterminable entièrement qui change sans notre action et aussi par elle, l’autre déterminée et déterminable seulement dans son ensemble, qui en outre ne change pas et sur laquelle nous sommes sans pouvoir, irrévocable.

Se souvenir, c’est-à-dire reconnaître comme passé c’est donc à propos d’une représentation actuelle tendre à reconstituer en soi-même un autre exemplaire entièrement déterminé de cette même pensée et représentation et ne le pouvoir pas : ce qui est commun aux deux, c’est l’idée, ce qui les distingue, c’est le fait. C’est-à-dire c’est que l’un des deux est cette idée encadrée dans le tout actuel de notre représentation et de notre état affectif connexe, tandis que l’autre est cette même idée qui tend à se donner un autre cadre représentatif et affectif également déterminé, mais sans y parvenir. (La même idée peut donc être portée dans plusieurs cadres représentatifs-affectifs différents, c’est-à-dire qu’elle peut s’incarner dans plusieurs faits qui s’excluent, être actuelle un nombre de fois illimité. Le temps est là forme au moyen de laquelle nous nous représentons cette possibilité, c’est-à-dire l’indépendance réciproque de