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Page:Revue de métaphysique et de morale, 1898.djvu/460

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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

vrai, c’est-à-dire objectif, et qui implique l’étendue. Alors il n’est pas étonnant qu’on puisse en faire sortir l’étendue, si elle y existait déjà.

De plus l’espace que Bain essaie d’expliquer n’est pas, si nous nous en rapportons à sa définition, le véritable espace. L’espace doit-il se définir une possibilité indéfinie de sensations ? Cela veut dire que l’espace, ce sont nos sensations de demain qui nous attendent. Bain, comme Stuart Mill, aboutit à concevoir le monde comme une pure construction de l’esprit, mais une construction individuelle : il n’y a pas pour lui une nature de l’esprit. Pour Bain le monde extérieur est une projection de la pensée individuelle ; l’espace n’est qu’une simple possibilité. Ce qui manque à cette définition, c’est l’idée que cette possibilité repose sur une réalité. Nous ne concevrions pas que nous pouvons encore éprouver certaines sensations si nous ne concevions pas qu’il existe en dehors de nous une réalité qui rend nos sensations futures possibles. Dans la possibilité, l’élément essentiel c’est la nécessité. Lorsque nous nous représentons l’espace, nous ne nous disons pas que peut-être nous nous représenterons quelque chose ; nous nous représentons la possibilité réelle d’aller à certaines sensations par un chemin qui est déterminé. L’espace est la représentation d’un pouvoir réel que j’ai sur mes sensations, si je me soumets à certaines conditions dont l’ordre, dont le système, est donné indépendamment de moi.

Ainsi, si l’on n’accorde pas que le pouvoir de la pensée est d’affirmer le réel, on ne pourra expliquer la perception de l’étendue. L’espace nous représente que nos sensations sont liées entre elles par un lien nécessaire, qui nous permet d’avoir prise sur elles. Ce qui nous conduit à cette conclusion anticipée que l’espace n’est pas une forme purement subjective, et qu’il n’est perçu par nous que si nous concevons qu’entre les points de l’espace il existe d’autres rapports que les simples rapports de fait : des rapports nécessaires, des rapports vrais.

LES PERCEPTIONS DU TOUCHER.

C’est par le toucher que nous percevons l’étendue complètement, c’est-à-dire sous ses trois dimensions. La perception de la profondeur est liée à celle de la résistance : le corps réel, par opposition au corps géométrique, c’est le corps qui résiste. Cette perception de la résistance, sous une forme plus complexe, est la perception de la