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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

consistance, de la cohésion plus ou moins grande des parties, et enfin du poids. Mais ces perceptions ne sont nullement primitives ; ce n’est pas par lui seul que le toucher nous fait connaître la consistance. En effet la consistance d’un corps n’est pas perçue directement par le toucher. Que nous apprend le contact d’un corps ? Tout simplement une plus ou moins grande résistance. Mais si une faible résistance tient à la légèreté de ce corps ou au peu de cohésion de ses parties, c’est ce que le toucher ne nous apprend pas. La perception de consistance implique, en plus de la résistance, la conception d’une séparation des parties. L’idée de poids suppose la connaissance de la direction de bas en haut, qui suppose elle-même l’idée d’étendue.

La résistance elle-même est-elle une perception primitive du toucher ? Si par toucher on entend le sens par lequel est signalée la présence immédiate d’un corps, sur la superficie de notre corps, on ne saurait apprendre, par le seul toucher, qu’un corps résiste. C’est à la suite des effets perçus par nous d’une action que nous avons voulue que se produit le sentiment de la résistance. Encore ne faut-il pas croire qu’il suffise, pour éprouver ce sentiment, d’éprouver la sensation d’un obstacle. Percevoir une résistance, c’est percevoir quelque chose qui résiste. Mais le simple fait d’éprouver une sensation liée à la cessation de l’action musculaire commencée ne suffit pas à engendrer l’idée d’une chose extérieure qui résiste. C’est parce que nous concevons la chose qui résiste que nous percevons la résistance de cette chose[1]. C’est l’idée d’objet qui produit en nous la perception de résistance. Une sensation ne suffit pas à nous faire juger qu’il y a des êtres en dehors de nous : il n’y a rien dans la simple sensation de résistance qui signifie résistance. La résistance est donc perçue et non sentie.

Il en est de même du lieu. La perception de l’étendue se fait au

  1. On ne saurait trop attirer l’attention du lecteur sur les formules de ce genre ; elles sont de nature, par la violence même qu’elles font à nos habitudes d’esprit, à nous faire apercevoir le véritable rapport de la pensée à son objet. Un objet c’est toujours la représentation d’une hypothèse, au sens scientifique du mot. Qu’un objet nous résiste, cela n’est pas un fait, mais bien une conception par laquelle nous nous expliquons, de la façon qui nous paraît la plus simple, les relations qui ont été, sont et seront constatées entre nos sensations et nos mouvements. Les illusions seraient inexplicables si l’objet n’était pas la représentation d’une idée préconçue que nous avons sur les résultats possibles de nos actions, idée préconçue qui est tantôt confirmée, tantôt contrariée par l’événement. V. le comm. du fr. 38.