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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

même dans les sensations les plus affectives intervient, pour déterminer leur caractère et leur intensité, l’élément intérieur de l’action. Voilà comment Aristote a pu dire que la sensation est l’acte commun du senti et du sentant. Aucune perception n’existe que par le moyen de l’action musculaire ; même les sensations les plus simples supposent encore des réactions inconscientes du corps. Suivant le degré de l’énergie vitale, suivant que l’action organique nous coûte plus ou moins, les sensations nous paraissent plus intenses ou plus faibles. Au fond de la sensation il y a encore de l’action[1].

LES PERCEPTIONS DE L’OUÏE.

L’ouïe ne nous représente pas des objets. Entendre un bruit c’est sans doute souvent être porté à se représenter un objet ; mais cette représentation ne peut s’effectuer que par l’action de l’imagination visuelle et tactile l’ouïe ne nous représente pas l’étendue. Ce que l’ouïe nous représente immédiatement c’est la durée. On pourrait dire que l’ouïe est un sens représentatif subjectif, par lequel nous déterminons des parties du temps, de même que par le toucher et la vue nous déterminons des parties de l’espace. Dans les sens inférieurs il n’y a pas à proprement parler de perception les différentes odeurs et saveurs se distinguent les unes des autres par leur caractère agréable ou désagréable, non par leur place. Il n’y a donc pas à distinguer dans une odeur ou une saveur ce qu’elle est comme sensation de ce qu’elle est comme perception. Il en est tout autrement dans les perceptions de l’ouïe. Les sons donnent bien lieu à de véritables perceptions, c’est-à-dire à des représentations de grandeurs, suivant les façons différentes dont ils se prolongent ou se succèdent dans le temps. Les sons sont en effet simultanés ou successifs. Chaque son marque un moment du temps. Chaque son est un coup frappé qui coïncide ou non avec d’autres coups frappés. Suivant les différentes manières dont les sons simultanés ou successifs divisent le temps, nous éprouvons des impressions différentes.

  1. L’étude de chacune des illusions des sens conduirait à une conclusion analogue. Notre jugement n’augmente pas seulement le poids d’un corps ; il en change la couleur, les dimensions, le relief, l’éloignement, etc. Il le crée même de toutes pièces dans l’hallucination et dans le rêve ; et Lagneau pouvait dire « Ce n’est pas parce que nous percevons un corps ayant telles propriétés que nous jugeons qu’il les possède, c’est au contraire parce que nous jugeons qu’il les possède que nous le percevons tel ».