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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

constances qui peuvent se présenter dans ces coïncidences résultent les impressions musicales. Les perceptions de l’ouïe s’achèvent dans les perceptions musicales qui résultent des rapports que nous saisissons entre des sons simultanés et successifs considérés dans leur acuité, dans leur intensité et dans leur durée.

La combinaison de la perception de la durée avec celle de l’intensité constitue la perception du rythme. Ici le caractère intellectuel de la perception acoustique se dessine plus nettement. La perception du rythme c’est la perception, de la division plus ou moins complète du temps en parties égales par des sons successifs. Qu’un son soit produit avec une certaine intensité et soit suivi d’une autre qui limite la durée du premier, ces deux sons successifs déterminent une division du temps. Si ces deux sons ont la même intensité, s’ils paraissent résulter d’une action également forte, la deuxième apparaîtra comme la reproduction du premier, en ce sens que le deuxième déterminera l’attente d’un troisième son, placé à la même distance du deuxième dans le temps que le deuxième l’était du premier.

Les sons de même intensité tendent à déterminer une certaine mesure du temps, parce qu’à l’intensité est liée une idée de force, c’est-à-dire de distance, de position. Il n’en est pas de même de l’acuité.

Entre des sons d’intensité semblable supposons intercalé un son d’intensité moindre :

a A

La succession a tend à éveiller dans l’esprit l’idée de sa reproduction indéfinie[1]. Nous avons dès lors dans l’oreille l’attente de deux divisions du temps. La perception du rythme existait déjà tout à l’heure ; elle devient ici le sentiment de la possibilité de mesurer le temps à la fois par deux unités différentes. Mais pour que le rythme soit vraiment intelligible, il faut que ces deux unités soient entre

  1. Il faut bien se garder de voir dans l’idée de cette reproduction indéfinie l’effet d’une sorte d’inertie spirituelle. Si l’esprit était inerte et enregistrait passivement les événements, il n’aurait pas d’autre idée que celle du changement perpétuel, et à vrai dire il n’aurait point d’idée du tout, car il n’y a d’idée que du permanent. L’habitude, c’est-à-dire l’exigence d’une répétition, n’est pas, comme l’entendent les associationnistes, l’effet du mécanisme) mais au contraire la manifestation la plus frappante de l’acte de penser. Ce n’est pas parce que l’habitude existe qu’il y a recommencement et identité, c’est au contraire parce que la pensée est recommencement et identité que l’habitude existe.